Conseil National pour les Libertés en Tunisie

 

 

Rapport sur l’état des libertés en Tunisie

 

 

 

Que l’année 2000 soit

l’année de l’éradication de la torture

et de la reconquête des libertés!

 

 

Tunis le 15 mars 2000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Président d'honneur: Hachemi Ayari

4, RUE ABOU DHABI TUNIS – Tél/Fax : (216-1) 335 871

WEB-page http:// www.cnlt98.org

 

Table des matières :

L’obligation de liberté

La police gouverne

Mise en fiche et surveillance

Rafles, contrôle, abus de pouvoir et corruption

Lieux publics sous haute surveillance

Moudahamat , punitions collectives et kidnapping

Surveillance et filatures

Communications sous haute surveillance

Vols, saccages de biens et agressions physiques

La police des frontières

L'interdiction de travailler

La surveillance administrative

L’exil et la clandestinité

Torture: la machine aveugle

Dans les prisons la torture continue...

Le déni de justice

L’intervention partiale des pouvoirs publics

Les stars de la torture: Bokassa, Dahrouj, Gatla, Elcasse et les autres

Privation de soins et de traitements

L’absence de volonté politique de combattre la torture

Une Justice délabrée

Khémaïs Ksilla

Mohamed Ali Bedoui

Les étudiants de l’UGET

Abdelmoumen Belanès

Nizar Chaari

Abderraouf Chamari

Saïda Almi et Hayet Ferchichi

Fadhel Beldi

Moncef Araïssia

Radhia Aouididi

Mohamed Bedoui

Taoufik Kebaoui

Ahlem Gara Ali, Saloua Dimassi et Amor Seghaïer

Hichem Hamoudi, Mohamed Mohsen Soudani

Ridha Boukadi, Zouhair Yaacoub et autres

Ahmed Lamari, Zouhair Yaacoub et autres

Main basse sur l’espace public

La répression des groupements auto-constitués

La répression des groupements ayant suivi toutes les procédures légales

Interpellation et détention lors de la proclamation de l'association ou du parti

L'épreuve du récépissé

L'arbitraire du refus de la légalisation .

Le noyautage des associations et partis existants

Surveillance, intimidations et asphyxie

Le temps du silence

La censure par le Dépôt légal

Diffusion des titres étrangers

La Loi sur les taxiphones.

Le nouveau code de la Poste

La loi sur la parabole

Internet

Censure et autocensure

La liberté du journaliste

La liberté syndicale confisquée

L’Université embrigadée

Imaginons la démocratie

1La garantie des libertés individuelles

Annexes

Plainte pour homicide volontaire

Témoignage de l’étudiant Lotfi Hammami

Le Conseil

Mohamed Chakroun,

Mohamed Talbi:

Abdeljabbar Bsaïes:

Mustapha Ben Jaafar:

Moncef Marzouki:

Omar Mestiri:

Khedija Cherif:

Sana Ben Achour:

Sihem Bensedrine:

Sadri Khiari:

Néjib Hosni:

Ahlem Belhaj:

Salah Hamzaoui:

Abdelkader Ben Khemis.

Jameleddine Bida:

Adel Arfaoui:

Fatma Ksila:

Ali Ben Romdhane:

Hédi Manaï:

Tijani Harcha:

Taoufik Ben Brik:

Abdellatif Abid:

Ahmed El Maaroufi:

Khelil Zaouia:

Tahar Mestiri:

Mokhtar Arbaoui:

Brahim Ben Hmida:

Ahmed Smii:

Mohamed Mestiri:

Ali Ben Salem:

Hela Abdeljaouad ;

Ahmed Galaï ;

Noura Borsali ;

Ali Zdini ;

Kamel Jendoubi ;

Olfa Lamloum ;

Abdellatif Ben Salem ;

Ahmed Kilani ;

Mohamed Ali Bedoui ;

Jalel Zoghlami ;

Imen Derouiche

Abdelraouf Ayadi

Faïçal Charrad

Jamel Jani

 

 

 

Président d’honneur

Feu le Dr.Hachemi Ayari

Comité de liaison

Moncef Marzouki, Porte - parole

Néjib Hosni, affaires juridiques

Omar Mestiri, Secrétaire Général

Sadri Khiari, relations extérieures

Jameleddine Bida, relations avec les associations

Ali Ben Salem, Trésorier

Taoufik Ben Brik, responsable de la communication

 

 

L’obligation de liberté

 

Jamais, dans son histoire contemporaine, la Tunisie n’a connu un tel acharnement contre les libertés. Jamais en Tunisie nous n’avons connu un tel sentiment d’insécurité face à l’omniprésence policière, au délabrement de la Justice et à l’extension de la corruption.

La négation de la citoyenneté a conduit la Tunisie à une grave crise morale, politique et sociale.

Les conquêtes des années 70 et 80 se sont volatilisées. La presse d’opinion a quasiment disparu, les associations de la société civile et en particulier l’UGTT ont été mises au pas, les partis d’opposition récupérés, la production intellectuelle et artistique bridée.

Nul n’est désormais à l’abri de la torture, d’un emprisonnement arbitraire, d’une punition collective, d’un procès inique, d’une agression physique, de la perte de son gagne pain, de la violation de sa vie privée ou de la confiscation de sa liberté de circuler...

La peur envahit les âmes, suscitant la délation et la démission collective, inhibant la créativité.

Le taux de 99,...% insulte l’intelligence des tunisiens et les dépossède de leur souveraineté.

Face à la chape de plomb qui obscurcit notre horizon et assassine toute alternative, le CNLT décide de briser le mur du silence.

Que l’année 2000 soit l’année de l’éradication de la torture et de la reconquête des libertés!

 

 

 

 

La police gouverne

 

Au coeur de l'avenue Habib Bourguiba, se dresse la Dakhilia, le Ministère de l'Intérieur. C'est ici que la politique du pays se gère. Appartenir, aujourd'hui au corps de la police, signifie faire partie de la caste dirigeante qui dispose de tous les moyens et de toutes les facilités.

Des dossiers aussi épineux que ceux de l'UGTT, la Centrale syndicale, ou l'université sont gérés par de simples officiers de police tel Taoufik Bououn, l'actuel chef de la zone de Mutuelleville, ou Imed Daghar, adjoint du Chef du district de Tunis. De tous les membres du gouvernement, Mohamed Ali Ganzoui, secrétaire d'Etat à la sûreté, est l'un des rares que tous les tunisiens, de Bizerte, à l'extrême Nord, à Borj El Khadra, à l'extrême sud, connaissent. Fraj Gdoura, l'actuel responsable des services spéciaux est plus célèbre que tous les ministres confondus. Abdallah Kallel, qui vient d'être nommé à la tête du ministère de l'intérieur (17 novembre 99) est loin d'être un inconnu. C'est l'homme symbole de la dérive policière de la Tunisie. Il a été à la tête de la Dakhilia du 17 février 1991 au 24 novembre 1995, période qui s'est ouverte par une série d'exécutions sommaires sur la voie publique, de blessures par balles, de plus de 30 cas de décès sous la torture_, de la traque implacable contre les islamistes, de la répression des militants de l'extrême gauche, de l’offensive contre la LTDH, de la fabrication des cassettes pornographiques et de la politique de la terre brûlée visant à neutraliser tous les contre pouvoirs (UGTT , UGET, Barreau, LTDH, AJT et autres ONG).

Le budget officiel du ministère de l'Intérieur a quadruplé depuis 1986, passant de 116,1 millions de dinars à 535,2 millions en 1999. Il est impossible d'évaluer ses ressources non-budgétisées, de même qu'on ne peut que donner une estimation du nombre d'agents de sécurité qui serait de 130 000 personnes pour une population de 9 millions d'habitants. C'est-à-dire presque autant que le nombre total d'enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur réunis (près de 140.000). La France six fois plus peuplée ne compte que 130.000 policiers.

Dans un beau texte, le penseur Mohamed Talbi, écrit : " une organisation policière très sophistiquée et bien fournie en agents de l'ordre, fait régner de l'ordre (...) . Pour contester, dans ces conditions, il faut être candidat au martyre sans compter les procédés parallèles encore plus dissuasifs et plus expéditifs : disparitions, enlèvements et tortures jusqu'à ce que mort s'en suive, destruction de biens et toutes sortes de tracas qui rendent la vie quotidienne invivable ".

Mise en fiche et surveillance

Le Tunisien compte sans doute parmi les personnes les plus fichées du monde. La Tunisie est peut-être le seul pays au monde qui punit comme un délit le non-port de la Carte d'identité. En effet, chaque tunisien, âgé de 18 ans, porte obligatoirement sur lui une carte d'identité magnétique dont le code à barres renvoie à un fichier informatique au ministère de l’Intérieur où sont insérées aussi bien des données relatives à ses mœurs, que des informations concernant sa carrière professionnelle, ses fréquentations présentes et passées... La police est soutenue dans sa tâche de surveillance quotidienne de la société par des milliers d'indicateurs, les " comités de quartier ", et les membre du RCD.

Dans certaines facultés (Médecine, Sciences, Lettres..), les résultats des concours de recrutement sont transmis à la police avant leur proclamation. Il est souvent arrivé que ces résultats reviennent allégés de quelques noms. En juin 99, des professeurs (en sciences humaines) récalcitrants ont été séquestrés durant des heures et menacés par l'administration jusqu'à obtention de leur signature au bas de la liste révisée.

La police intervient également dans la composition des conseils municipaux, des bureaux directeurs des associations culturelles et sportives et mêmes des ONG.

Rafles, contrôle, abus de pouvoir et corruption

Rafles, barrages, contrôles d'identité constituent le quotidien des jeunes, l’une des cibles privilégiées de la police. Ils peuvent être contrôlés plusieurs fois par jour, surtout le week-end. Filtrage au faciès, langage ordurier, passage à tabac.... Pour Mehdi et son amie Ahlam, la soirée du Samedi 28 Novembre 1998, passée dans un café Karakoé d'El Manar, s'est terminée par une garde à vue de 24 heures après un passage à tabac dont Mehdi porte encore les séquelles.

Dans les quartiers populaires (mais aussi sur les grandes artères comme l'avenue Habib Bourguiba), les rafles sont courantes et accompagnés de brutalités. Les ouvriers journaliers venus des régions les plus déshéritées du pays et travaillant dans des chantiers de construction sont particulièrement visés. Les fourgonnettes de la police conduisent toutes les personnes interpellées au centre de détention de Bouchoucha où le tri sera fait. Les uns seront envoyés au service militaire, les autres refoulés vers leurs régions d'origine.

Les contrôles policiers sont aussi prétexte à différentes formes de "fiscalité privée ". Pour les contrôles visant les usagers de la route, ce sont les taxis qui sont l'objet de toutes les attentions des policiers. Ces derniers dressent sur tous les grands axes des villes des barrages qui ont plus à voir avec la perception de taxes informelles qu'avec la sécurité routière, mais les autres conducteurs particuliers sont également soumis à ce type de pratiques

Sur les routes nationales, les conducteurs de véhicules utilitaires sont obligés de graisser la patte à chaque barrage avec ce que les tunisiens nomment avec ironie Khemaïs (5 dinars), Achour (10 dinars), et Belgacem (30 dinars).

Les débits de boissons clandestins, très nombreux dans le pays, sont à la fois un élément du dispositif de renseignement et une source de gains pour certains policiers. M.Z., dit "Korv", qui gère un bar sans patente, rapporte que les policiers " ...boivent gratuitement. De plus, je leur verse quotidiennement des pots de vin. Et, surtout, je dois les tenir au courant de tout ce qui se passe dans le quartier... " Cela n'a pas empêché la police de faire quatre descentes chez lui dans la seule année 1999. Il a écopé de deux mois de prison et la police lui aurait confisqué pour 1000 dinars de marchandises. En outre, il a dû verser au trésor public une amende de 500D.

Certains agents de la police municipale, dont la mission est de pourchasser les vendeurs ambulants et de démanteler les marchés sauvages, profitent de leurs fonctions pour racketter ces vendeurs.

Les touristes des pays arabes et particulièrement ceux des pays voisins (Algérie et Libye) sont en butte à un harcèlement permanent de la part des agents de la police et des douanes.

La police universitaire

Les universités tunisiennes sont en état de siège. Outre " la police universitaire " qui circule librement dans l'enceinte des facultés, tous les corps de la police secrète y ont leurs antennes. Des postes de contrôle ont été aménagés à chaque porte. La route reliant le campus est parsemée de barrages. Al Istilamat (la police secrète) se mêle à la population estudiantine. Elle assiste aux cours et contrôle même le degré de liberté que prend un enseignant dans son cours. Elle mène surtout des enquêtes sur les animateurs du mouvement étudiant. Le 15 novembre 1998, pour briser un important mouvement de grèves et de protestations qui a concerné plus de 90.000 étudiants sur 130.000 que comptent les universités tunisiennes, la Dakhilia a déployé ses différentes brigades : Brigade de l'ordre public, unité d'intervention rapide, unités spéciales (Aigles noirs, Elites, Brigades canines) gendarmeries nationales...

Les 12 et 13 février 1999, pour maîtriser " l'Intifadha " les élèves du lycée Houcine Bouzaiane à Gafsa, l'administration policière a dû réquisitionner des forces de police d’autres villes (Sidi Bouzid, Kairouan, Sousse et même Tunis). Une semaine durant, Gafsa a vécu un état de siège et une chasse aux élèves. 222 élèves ont fait l'objet de poursuites judiciaires pour être finalement relaxés. Dans la presse locale aucun commentaire sur ces incidents. Un seul élément palpable, le 15 février : Mr. Abderahim Zouari a pris le portefeuille du ministère à la place de Mr. Ridha Ferchiou, limogé.

Début février 2000, des événements graves viennent de secouer de nombreuses régions du pays parmi les plus défavorisées. A la périphérie des grandes ville et dans la plupart des bourgades alentours, (Zarzis, Gabès, El Hamma, Chenini, Medenine, Jerba, Ben Gerdane, Kébili, Douz, Medhila, Moulares, Gafsa, Jebeniana, Sfax, Kasserine, Béjà…), la rue a été le théâtre de manifestations qui se sont parfois transformées en émeutes.

Les manifestants, pour l’essentiel de jeunes lycéens et chômeurs, soutenus par le reste de la population, s’en sont pris violemment à tous les symboles du pouvoir (panneaux indicateurs, lampadaires, édifices publics) et ont dressé des barricades, enflammé des pneus, saccagé des voitures. Ils ont affronté les forces de police, causant dans leurs rangs de nombreux blessés et les contraignant parfois à se replier. Leurs slogans ont mis en cause les augmentations des prix des denrées de première nécessité, la détérioration du pouvoir d’achat et la croissance du chômage, mais aussi leur ressentiment à l’égard des autorités publiques et contre le développement de la corruption.

Le mouvement a suivi immédiatement le déclenchement d’une grève des conducteurs professionnels (taxis, louages, routiers) le premier février dernier. La grève était motivée par l’entrée en vigueur du nouveau code de la route qui institue, outre le permis pour les deux roues, le permis à points pour les véhicules automobiles. Les conducteurs ont exprimé ainsi leur crainte d’un renforcement de l’arbitraire policier.

Cette vague de protestations n’a pu être enrayée que par un déploiement policier exceptionnel. Des centaines d’interpellations de jeunes ont été effectuées. Quelques dizaines d’arrestations ont été opérées, parfois de nuit et accompagnées de brutalités. Certains jeunes se sont plaint de mauvais traitements dans les locaux de la police. A Gabès, Sfax et Medenine une quarantaine de jeunes dont certains toujours en état d’arrestation sont poursuivis en justice pour atteinte aux biens publics et diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public.

Ces premières manifestations populaires d’une telle ampleur, que connaît la Tunisie depuis les émeutes du pain de 1984, font voler en éclat le mythe du miracle économique et révèlent l’ampleur de la pauvreté et du chômage (notamment des diplômés), l’importance croissante de la détresse sociale dont les principales victimes sont les jeunes et les populations des zones déshéritées du Sud, du Centre et du Nord Ouest.

Lieux publics sous haute surveillance

De tous les espaces publics, les stades sont les lieux qui attirent le plus grand nombre de policiers. Exutoires des tensions sociales, ils sont aussi le théâtre des pires violences. En Juin 1999, un match de foot à Béja tournait au drame. Le bilan officiel est de 4 morts vite ramené à 3 . Le bilan de la rue varie entre 17 et 42. Pendant un mois, la ville de Béja à vécu un véritable couvre-feu. Dans les ruelles, des patrouilles piétonnes ou mobiles circulent formant des barrages à tous les accès de la ville, rendant ainsi difficile toute "intrusion" de journalistes ou autres fouineurs. Les morts ont été enterrés à la sauvette.

" Moudahamat " , punitions collectives et kidnapping

Beaucoup de tunisiens craignent les moudahamat, mot qui signifie à la fois " descente de police " " violation de domicile " et " donner l'assaut ".

Vendredi 3 septembre à 23 heures, à Sedjoumi , trois familles parentes de M. Hamma Hammami, ont été victimes d'une violation de domicile. Plusieurs dizaines de policiers en civil ont investi, simultanément par les toits et les portes, les demeures de Mrs. Farhat et Hédi Marouani et Ali Kéfi. Après avoir tout mis sens dessus dessous, injurié et terrorisé les occupants pour obtenir des informations concernant M. Hammami, ils sont partis en emportant des documents personnels.

Dimanche 5 septembre, à une heure tardive de la nuit, la famille de M. Tlili Labidi, parent également de M.Hammami et résidant à la Place du Leader, a subi le même sort. Plus grave encore, hommes et femmes ont été passés à tabac en présence de leurs enfants en bas-âge.

Mardi 7 septembre, à l'aube, la ferme de M. Sahbi Mhamdi, oncle maternel de Radhia Nasraoui, située à Fouchana à 8 km de Tunis a été, à son tour, prise d'assaut par un commando de plus de 50 agents des services spéciaux, armés de gourdins, qui ont envahi la maison et terrorisé sa femme et ses enfants après avoir coupé la ligne téléphonique avec un sécateur.

En avril 1998, le domicile d'Abdelmajid Sahraoui, syndicaliste qui avait formulé des critiques contre le secrétaire général de la Centrale syndicale a été investi en toute illégalité par la police. Les domiciles de Tarak Limam, syndicaliste, et de Abdelkarim Allagui, vice-président de la LTDH, ont connu le même sort. Le 27 mai 1999, tôt le matin, plusieurs dizaines de policiers ont investi la maison du journaliste Taoufik Ben Brik. Ne l'ayant pas trouvé, ils ont également fouillé le domicile d'un de ses voisins (l'universitaire Ezzeddine Haloui) puis sont allés chez ses amis, le sociologue Salah Hamzaoui puis Mohsen Zaiem avant de l'arrêter chez son frère Jalel Zoghlami.

Le lundi 11/10/99, après de multiples provocations, se rattachant toutes à leur parenté avec Taoufik Ben Brik, Khemais Majri, son beau-frère, est agressé par son voisin, un dénommé Mohamed Chalghoum devant son domicile, sans raison apparente. Il porte plainte, mais la police locale refuse d’enregistrer sa plainte. Le lendemain, mardi 12, le même Mohamed Chalghoum, se prévalant de son impunité et de sa position élevée dans la hiérarchie du RCD, récidive en tabassant jusqu'au sang et sans raison aucune, en plein jour et au centre du quartier M. Majri, le beau-frère de Taoufik.Ben Brik. Sa soeur Saïda et ses deux filles, Rim (12 ans) et Nour (7 ans) sont elles aussi insultées et brutalisées publiquement.

La police tunisienne n'interpelle pas, elle enlève. Ainsi en a-t-il été des syndicalistes contestataires dans la nuit du 10 mai 1999_. Le 5 juin 1999, en début d’après-midi, alors qu’il sortait du local du CNLT, Moncef Marzouki a été ceinturé par derrière par plusieurs individus qui l’ont poussé violemment dans une voiture qui l’a conduit directement au ministère de l’Intérieur.

Surveillance et filatures

Le 10 juillet 1999, lors du procès " PCOT ", le palais de Justice a été investi par différents corps de police (services spéciaux, renseignements généraux, sécurité de l'Etat...). Les nombreux observateurs étrangers présents ont été mis sous surveillance. Les tunisiens venus assister au procès n'ont pu entrer dans la salle du tribunal qu'après avoir donné leurs cartes d'identité qu'ils n'ont pu récupérer qu'au moment de quitter le Palais de justice.

Durant la campagne électorale, du 10 au 24 octobre 1999, les journalistes étrangers ont également été astreints à une surveillance constante. Certains ont pu constater que leur chambre d'hôtel avait été fouillée en leur absence.

Tous les espaces susceptibles d'être des relais de la société civile (UGTT, LTDH, ATJA, ATFD, A.I, UGET, CNLT...) sont soumis à une surveillance permanente. Des cafés (Del Capo, Emir...), lieux de rencontre des dissidents, sont quasiment colonisés par la police secrète.

De nombreux activistes de l'opposition sont soumis à une filature, constante ou ponctuelle, motorisée ou à pied : les vice-présidents de la LTDH, Khémaïs Ksila et Salah Zghidi, l’ancien président du MDS, Mohamed Moada, d'autres responsables de la LTDH comme Abdelkarim Allagui, Fadhel Ghedamsi, les avocats Mokhtar Trifi, Anouar Kousri, Néjib Hosni, Najet Yaacoubi, la présidente de l'ATFD, Bochra Belhadj Hamida, la féministe et membre du CNLT, Khédija Cherif, le sociologue Salah Hamzaoui, et les syndicalistes Tahar Chaïeb, Abdelmajid Sahraoui et Nizar Amami. A Bizerte, le domicile de Ali Ben Salem, ancien résistant et trésorier du CNLT, fait l’objet d’une surveillance constante. De nombreux militants des droits de l’homme, domiciliés à Sousse, ont été, ces derniers mois, filés en permanence, de nuit comme de jour, par des voitures banalisées (une voiture blanche immatriculée 9390 Tu 69 et une autre bleue immatriculée 8103 Tu 77). Dans cette même ville, des agents de la police politique (Mokhtar Boughatas, Kamel Ksouri, Mongi Ayed, Mondher Ibrahim, Mohamed Ali Khenisi, Boubaker Hassen ...) se relayent au palais de justice pour surveiller certains juges et avocats comme Me Hechmi Jgham, ancien président de la section tunisienne d’Amnesty international.

Ces filatures ostentatoires ont plus une fonction de persécution que de surveillance. C'est particulièrement net dans le cas de Radhia Nasraoui. Plus de 10 policiers se relayent devant chez elle; ses filles (Nadia et Ousseima, 17 et 11 ans) sont suivies quand elles se rendent à l'école. La plus jeune a fait l'objet d'un simulacre d'enlèvement. Ces policiers, qui stationnent également devant le cabinet de Radhia Nasraoui, essayent aussi de dissuader ses clients.

Communications sous haute surveillance

Les moyens de communication font également l'objet d'une surveillance systématique. Mais la technique la plus utilisée par la police est l'isolation. De nombreux défenseurs des droits de l'homme se plaignent de voir leurs lignes "administrativement coupées " et de reçevoir des factures avec seulement le montant de l’abonnement.

Les autorités tunisiennes ont ainsi mis en place un gigantesque système d'écoute touchant aussi bien les lignes fixes que les lignes mobiles. Les associations indépendantes ainsi que leurs dirigeants sont constamment sous surveillance téléphonique.

La privation de téléphone, permanente ou ponctuelle, ou la perturbation de la ligne font partie de l'arsenal qu'utilise la police pour harceler les militants. Parmi les victimes de ces pratiques : Radhia Nasraoui, , Sadri Khiari, Fatma Ksila, Mokhtar Trifi et d'autres encore. Moncef Marzouki est privé de téléphone depuis 4 ans, Néjib El Hosni, depuis 3 ans, Omar Mestiri depuis plus d’un an, de même que la ligne téléphonique du local du CNLT et des éditions Aloès.

Vols, saccages de biens et agressions physiques

Quelques semaines après le saccage de sa voiture, Taoufik Ben Brik a été agressé physiquement, le 20 mai 1999, par trois policiers armés d’un gourdin et de chaînes devant son domicile. Hospitalisé, Taoufik ben Brik a été obligé de garder des attelles à son bras droit durant un mois, sans possibilité d’écrire. Cette agression était un acte de représailles à la suite de la publication par le quotidien suisse "Le Temps" d'un nouvel article critique.

D'autres militants ont été victimes de vol ou saccage de leurs voitures : Radhia Nasraoui, Mustapha Ben Jaafar, Fatma Ksila et Omar Mestiri. Ce dernier a ainsi perdu trois véhicules et il n'a même pas pu se faire dédommager par son assurance pour son camion, la police ayant refusé de transmettre le PV de vol à l'assureur.

Le cambriolage des bureaux avec ou sans vol de biens a été pratiqué notamment à l'encontre de Me. Radhia Nasraoui qui a ainsi perdu des meubles et de nombreux dossiers qu'elle suivait en tant qu'avocate. Les bureaux de Sihem Ben Sedrine, qui dirige une maison d'édition, ont subi le même sort à trois reprises en l'espace d'un mois. La dernière "visite" en date a été opérée le soir du réveillon 1999 et tout le matériel de PAO a été emporté. Lors d'un des constats, le Commissaire de police l'a "avertie des risques de trouver la prochaine fois de la drogue dans ses bureaux!". Des " visites " nocturnes sans effraction ont été constatés particulièrement chez les avocats, la dernière victime en date a été Me Najet Yacoubi.

La police des frontières

La privation arbitraire de passeport constitue l'une des techniques les plus courantes de répression. Aujourd'hui, deux catégories de citoyens demeurent les cibles privilégiées de cette mesure discriminatoire : les jeunes candidats à l'émigration (le passeport étant assez côté sur le marché parallèle) et les intellectuels. C’est le cas notamment du sociologue Salah Hamzaoui, président du comité " Hamma Hammami " et membre fondateur du CNLT.

Comprenant à quel point il est vital pour l'universitaire, l'avocat, le journaliste ou le médecin, de participer aux rencontres scientifiques et professionnelles internationales, l'administration joue habilement de la menace de la privation de ce document pour les amener à adopter un profil bas. Plusieurs citoyens vont jusqu'à s'abstenir de faire la demande d'un titre de voyage, de crainte de déclencher d'éventuelles poursuites judiciaires montées de toutes pièces, comme cela s'est déjà produit à plusieurs reprises.

Dans un communiqué en date du 7 juin 1999, l’ATJA, l’ATFD et la LTDH se sont élevées contre cette forme de séquestration. D'autre part, certaines organisations internationales de défense des droits humains (AI, FIDH, HRW, RSF, CPJ...) ont maintes fois évoqué cette question sans que les autorités n'en tiennent compte.

Malgré les aménagements, apportés en 1998 à la loi de 1975 sur les passeports, qui prétendaient limiter l'arbitraire de l'administration en accordant au juge la compétence de retirer à un citoyen son passeport, la Direction Générale des Frontières et des Etrangers (DGFE) continue à disposer de ce droit élémentaire du citoyen à circuler librement, usant de l'octroi du passeport et de son renouvellement comme d'une faveur. Cette loi n'a d'autre fonction que de jeter un voile de légalité sur l'arbitraire.

Des milliers de personnes, apparentées à la mouvance islamiste, subissent ces persécutions. Ainsi Ben Aïssa Demni, ancien membre du Comité Directeur de la LTDH et Fadhel Beldi, un ancien dirigeant du mouvement " Ennahdha " sont interdits de voyager depuis plusieurs années. Les proches en sont également victimes comme c'est le cas de Rachida Ben Salem, Radhia Aouididi, et Souad Charbti.

Des avocats sont soumis à cette même interdiction depuis plusieurs années : Me Ayachi Hamami, Me Samir Ben Amor, Me Anouar Kousri, Me Abdelfattah Mourou, ancien dirigeant du mouvement " Ennahdha ". Me Jameleddine Bida, ancien Secrétaire Général de l'Ordre des Avocats, qui n'a plus de passeport depuis deux ans, a, par deux fois, en juillet et en octobre 1999, observé une grève de le faim de 7 jours, pour protester contre la mesure qui le frappe. Me Mohamed Nejib Hosni est également interdit de voyager depuis décembre 1996.

Il arrive, par ailleurs, que des proches de certains militants soient également privés de passeports. C'est le cas notamment de Nadia et Oussaïma, filles de Hamma Hammami et Radhia Nasraoui. C’est le cas également de Abderraouf Baccouchi, frère de Néjib Baccouchi, syndicaliste étudiant.

Khémaïs Ksila a été empêché de se rendre à l'étranger au mois d'août 1996 et se retrouve, depuis lors, privé de son document de voyage. Son épouse Fatma, membre fondateur du CNLT, n'a pas pu, elle aussi, se déplacer en avril 1999, pour rencontrer, à Genève, Mme Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies chargée des droits de l'homme. Mohamed Hédi Sassi, ancien prisonnier politique, est privé de passeport depuis plusieurs années. C’est le cas également de plusieurs membres du CNLT: Le Dr. Moncef Marzouki, Porte-parole, depuis 1996; Sihem Bensedrine depuis 1995; Ali Ben Salem depuis 95.... Le Professeur Mustapha Ben Jaafar, Secrétaire Général du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés, subit la même sanction depuis le mois d'octobre 1994. Ali Romdhane, dirigeant syndicaliste est privé de passeport depuis près de cinq ans. Yacine Hamzaoui, un des animateurs du mouvement étudiant, a été privé de passeport pendant de longs mois.

Outre le retrait ou le refus d'accorder le passeport, la DGFE ne recule devant aucun moyen pour empêcher certaines personnes de voyager. C'est le cas, entre autres, de Taoufik Ben Brik qui n'a pu se rendre à Genève où il était invité par le festival "Médias nord-sud". A l'aéroport, on lui a, subrepticement, déchiré une page de son passeport !

L'interdiction de travailler

Outre le fait qu'il demeure le plus grand employeur de la fonction publique, le Ministère de l'Intérieur mène l'enquête chaque fois qu'il y a un postulant pour un poste vacant dans un établissement public, un hôpital ou même un jardin d'enfants. Plusieurs citoyens qui ont réussi à des concours de la fonction publique (Enseignement, Santé publique, etc.) sont interdits de recrutement sur avis du ministère de l'Intérieur. En fait tout dossier de recrutement dans la fonction publique transite nécessairement par ce ministère.

Dernièrement, le Tribunal Administratif, vient de donner raison à A.M. qui avait attaqué la décision du ministère de l'Economie de rejeter sa candidature à un poste pour " stage non concluant". Dans sa réponse écrite au tribunal, le ministère avait reconnu que sa décision n'était pas motivée par la qualification professionnelle du candidat, mais par un avis défavorable du ministère de l'Intérieur. Cet avis mettait en avant les convictions politiques défavorables au gouvernement du postulant, ses responsabilités syndicales passées, ainsi que sa fréquentation des locaux de partis d'opposition, pourtant autorisés.

Boutheïna Tabib, qui a passé en 1998 avec succès un concours pour le recrutement de responsable de jardin d'enfants, n'a pas été retenue parce qu’ "elle est mariée à un opposant ". Effectivement, son mari, Chawki Tabib est l'actuel président de l'Association Tunisienne des Jeunes Avocats, une des rares ONG qui n'a pas soutenu la candidature de Ben Ali.

Madame Aouatef Ben Saad, docteur en médecine, veuve de Sahnoun El Jouhri, dirigeant islamiste mort en détention à l'âge de 41 ans, a été interdite de recrutement dans les hôpitaux tunisiens. L'hôpital militaire lui a signé un contrat de stagiaire d'un an 11/2/99-10/2/2000) qui a été résilié le 24 avril 99 sans motivation ; Madame Jouhri, mère de 3 enfants est réduite au chômage depuis, même les cliniques privées lui opposent un refus catégorique sur consigne de la police.

Abbès Chourou, frère de Sadok Chourou, dirigeant du mouvement islamiste "Ennahdha" condamné à perpétuité est également interdit de réintégrer la fonction publique alors qu'il n'a jamais été condamné. Depuis son retour en Tunisie, en février 1989, il se heurte à l'opposition systématique du Ministre de l'enseignement supérieur à sa réintégration (il avait déjà enseigné au sein de la faculté des sciences de Tunis avec le grade de Maître assistant jusqu'en novembre1982) malgré les avis favorables des jurys de recrutement émis à cinq reprises. Non satisfait de lui barrer la voie de l'enseignement public, la police s'acharne à le priver de tout emploi dans le secteur privé en usant de multiples pressions.

Mahmoud Douggui, Chercheur, a dirigé le Centre de Chimie de l'Institut National de Recherches Scientifiques et Technologiques jusqu'en juin 92, date à laquelle il a été condamné à 8 mois de prison pour connivence avec le mouvement Ennahdha. Il est depuis interdit d'exercer dans la fonction publique. Ses diverses tentatives de travailler dans le privé, même en acceptant des emplois modestes, ont échoué du fait de la mesure - non incluse dans le jugement - de " surveillance sécuritaire " décidée par le ministre de l'Intérieur dont il a fait l'objet. La police a fait pression sur ses divers employeurs. Incapable de subvenir aux besoins de sa famille -il est père de trois enfants - il a vu son foyer éclater, sa femme ayant obtenu le divorce.

Ali Ben Salem, emprisonné au lendemain de l’Indépendance, a été privé de ses droits politiques et licencié de son emploi par décision ministérielle sous l’accusation de diffamation du président de la république, d’appel à la grève et de rébellion. Suite à son combat ininterrompu pour les libertés, il a été privé de sa retraite et de la gratuité des soins à laquelle il a le droit dans les différents établissements hospitaliers. De même qu’il ne bénéfice pas du remboursement des frais médicaux que lui a accordé le tribunal à la suite de la perte d’acuité de son oeil droit consécutif à un accident. On refuse également de lui délivrer un duplicata de son carnet de soins au titre d’ancien résistant qu’il a perdu et ce malgré la décision en sa faveur du tribunal administratif.

La surveillance administrative

D'anciens prisonniers politiques sont contraints de pointer au commissariat du quartier jusqu'à 4 fois par jour. Ils sont soumis à deux catégories de décisions, l’une judiciaire et l’autre émanant de la Sécurité. Selon le Code pénal, le contrôle administratif n’impose pas au condamné de se présenter à la police, mais garantit seulement à l’administration " le pouvoir de désigner le lieu de résidence  du condamné " (art.23) et ce pour une période n’excédant pas les 5 années. Le 6 novembre 1999, plus de 4000 personnes, parmi les milliers d’islamistes soumis à cette contrainte, en ont été dispensées. Mais, peu de temps après, les autorités sont revenues sur cette décision pour un certain nombre d’entre eux. Le rapport de la LTDH portant sur la situation des droits de l’homme et des libertés en Tunisie (1994) souligne que " parmi les abus les plus graves, le contrôle administratif imposé sans aucun raison judiciaire ou administrative à des citoyens déjà jugés par les tribunaux et qui ont bénéficié d’un non-lieu ou ont purgé leur peine. Cette mesure consiste à contraindre ces citoyens à donner leur signature au commissariat à une périodicité variant de plusieurs fois par jour à une fois tous les quinze jours sous la menace d’une nouvelle incarcération en cas de désobéissance. Ces mesures leurs interdisent toute réinsertion dans la société et toute vie professionnelle compte tenu de leurs absences répétées "._

Jusqu'à ce jour, Mahmoud Douggi est contraint d’aller signer hebdomadairement au commissariat du quartier sans aucune justification judiciaire. M. Douggi a été obligé durant une longue période de se présenter quotidiennement à un horaire irrégulier (on lui communiquait chaque fois le lendemain, l'heure à laquelle il devait se présenter) à l'un des locaux de la police ou de la garde nationale de sa région pour signer sur un registre. Cette contrainte s'est par la suite allégée progressivement.

Certains sont contraints à ce pointage même après la fin de la période de condamnation au contrôle administratif, c'est ainsi que K.N. qui a achevé la période de cinq ans de surveillance administrative a été contraint par le commissariat dont il dépend de poursuivre le pointage quotidien.

L’exil et la clandestinité

Face à cette traque implacable de toute velléité contestataire, beaucoup de Tunisiens ont pris le chemin de l'exil, bravant parfois la mort. Les frontières algérienne et libyenne, et la fameuse " route maritime " (Sfax-Lampadusa) ont vu des milliers de candidats à l'exil (islamistes, trotskystes, jeunes sans emploi...), fuir l'enfer des persécutions quotidiennes.

D'autres choisissent d'entrer dans la clandestinité. Depuis le 27 février 1998, Hamma Hammami vit dans la clandestinité_. Ce n’est pas la première fois que Hamma Hammami est contraint à ce choix, préférant la séparation d’avec sa famille (il ne connaît pas sa dernière née, Sarra) à l’arbitraire policier. Il a été condamné à 9 ans et trois mois par contumace, dans l'affaire du PCOT (août 1999). Deux de ses co-inculpés, Samir Taamallah et Abdeljabbar Maddouri, vivent la même situation.

Jalel Zoghlami a été condamné en février 92, par contumace à 20 mois de prison pour appartenance à une association non reconnue l'OCR (trotskyste). Il est interpellé en novembre 93 et gardé pendant près de deux semaines durant lesquels il subira des interrogatoires musclés. Ayant fait opposition à sa condamnation, il passe simultanément devant deux juridictions pour les mêmes faits : le tribunal de première instance du Kef, suite à son opposition, et la Cour d'appel du Kef , suite à l’appel du jugement par contumace fait par le ministère public. Chaque juridiction prononce un jugement indépendant et il se retrouve avec deux condamnations : 11 mois de prison et 3 ans d'interdiction de séjour au Kef, en première instance et 9 mois de prison en appel. Décidé à refuser un jugement inique, il se réfugie à nouveau, et pour près de 5 ans, dans la clandestinité. Le 12 octobre 99, alors qu’il lui reste quelques jours avant de bénéficier de la prescription, Jalel Zoghlami est arrêté, puis relâché au bout de quelques heures. Sa situation pénible de condamné en instance d'emprisonnement lui interdit notamment tout emploi (il est titulaire d’une maîtrise de droit). Il reste sans droits : ni papiers d’identité, ni passeport, ni droits civils et politiques.

Torture: la machine aveugle

En dépit de la ratification, sans réserves le 20 octobre 1988, par la Tunisie de la Convention internationale contre la torture, et malgré les mises en garde et condamnations émanant de diverses parties, avocats, organisations de défense des droits humains, et notamment du Comité contre la torture des Nations Unies, la torture a continué à être pratiquée à une large échelle.

Du simple commissariat aux sous-sols du ministère de l’Intérieur, en passant par la Caserne policière de Bouchoucha, ces lieux sont devenus des " usines de torture ".

Cette machine aveugle engloutit non seulement les contestataires qui ont le " privilège " d’être pris en charge par des " professionnels ", mais également les délinquants qui sont livrés sans défense aux petits policiers de quartier. Ces " amateurs " de la torture humilient et mutilent en toute impunité, imprimant des séquelles indélébiles sur de jeunes corps et de jeunes têtes dans le secret le plus total.

Mohamed Salah Dridi, âgé de 16 ans a été arrêté_ le 13 décembre 1999, dans une affaire de vol de chien (qui fût retrouvé) par la police de la cité El Khadhra. Après un passage à tabac et une séance de " balançoire ", le chef de poste, Kamel et son adjoint Mahmoud lui ont introduit un bâton dans l’anus. D’autres agents lui ont écrasé les testicules dans un tiroir. Le jeune homme en a gardé un traumatisme psychologique profond.

Dans une étonnante collection de témoignages recueillis auprès de 150 jeunes, pour la plupart consommateurs occasionnels de drogues, arrêtés en 1998, ou encore auprès des 16 personnes inculpées dans l’affaire du PCOT, en février 1998, il ressort que " les séances de torture les plus courantes consistent en des coups assénés à un rythme progressif sur l’ensemble du corps et sur la plante des pieds par des matraques et des gourdins de tailles différentes plus ou moins imbibés d’eau, ou par des tuyaux de caoutchouc. Le supplicié est suspendu et attaché à une barre de fer horizontale, les mains attachées derrière les genoux. Il est battu jusqu'à ce qu’il perde connaissance, il est alors remis sur pied, puis la séance recommence, parfois assortie de brûlures à l’eau de Javel ou à l’éther sur les parties sensibles du corps, d’électrocution, d’immersion de la tête dans de l’eau mélangée à de l’urine, des excréments ou de produits chimiques, d’aspersions à l’eau bouillante, d’aspersion d’alcool et de mise à feu du système pileux. Des instruments sont utilisés pour blesser : chignole, bouteilles... ".

" La première chose à faire, dans un poste de police, c’est de laisser dans les vestiaires, ta dignité, ton humanité... Ici, tous le monde doit se mettre à genoux ", témoigne Néjib Hosni, avocat, qui a séjourné en 1995, dans les locaux de la Dakhilia.

Fahem Boukadous a été interpellé par la police politique le 21 février 1999. Il a été emmené à la caserne de Bouchoucha, puis aux locaux de la Dakhilia où il a subi différentes formes de torture : coup de poings, supplice de la "darbouka"_, durant de longues séances. Alors qu’il souffre d’asthme chronique, on l’a étouffé en lui mettant la tête dans un sac nauséabond - au point qu’il a fallu le transporter d’urgence à l’hôpital Charles Nicolle puis à l’hôpital des " Forces de Sécurité Intérieures " de la Marsa. Ces actes ont été supervisés par le dénommé "Si Taoufik". Il faut noter que l’interrogatoire de Fahem Boukaddous a été effectué sans commission rogatoire. Lorsque, par la suite, il a été présenté au doyen des juges d’instruction, Noureddine Ben Ayed, dans le cadre de l’Instruction n°1/78310 concernant le POCT, ce dernier a rejeté la demande d’expertise médicale présentée par la défense.

Le 21 février 1999, Abdelmoumen Belanes a été arrêté à son domicile, sans mandat, par la police politique_. " Dans la rue, les agents de police se sont mis à le frapper violemment au point de le faire saigner"_.... "Durant son séjour à Bouchoucha, il a subi diverses formes de torture : coups de pieds et de poings sur tout le corps en particulier sur la tête et le visage. Les agents lui ont arraché tous ses vêtements, l’ont enchaîné nu à une chaise et empêché de dormir. Dès qu’il fermait les yeux, les agents le frappaient, lui jetaient de l’eau sur le corps et lui secouaient violemment la tête ". Il a été menacé d’être sodomisé en présence de sa femme enceinte, Latifa Kouki, également en état d’arrestation. On l’a menacé également de "violer sa femme sous ses yeux". Le lendemain, il a été conduit au ministère de l’Intérieur où, à peine arrivé, il a été de nouveau torturé, sous les ordres du commissaire Ridha Chebbi ; frappé sur toutes parties du corps jusqu’à évanouissement - et en particulier sur la tête -, "menacé de mort , attrapé par les cheveux et la tête violemment cognée contre le mur". "Il a également été privé de sommeil pendant 4 jours et quatre nuits consécutifs" _.

Arrêté le 28 novembre 1995 en compagnie des étudiants Bechir Abid et Ali Jellouli, Abdelmoumen Belanes avait aussi été torturé. Il a été conduit dans les locaux de la sécurité d’Etat. Il a été suspendu, pendant de longues séances - dans la position du "poulet rôti"- 7 jours durant. Soumis au supplice du " balanco " (palan) et aux décharges électriques (" gégène "), Abdelmoumen Belanes a été privé de sommeil pendant 7 jours et 7 nuits et menacé de mort… Le vendredi 2 mai 1997, dans le pavillon disciplinaire de la prison Ennadhour, il a encore une fois été torturé.

Aucune réponse n’a été donnée aux requêtes formulées par ses avocats et la LTDH auprès du Ministre de l’Intérieur ou du Procureur de la République, Belanes a continué à être torturé sans que les responsables ne soient inquiétés. En outre, le juge d’instruction, devant lequel Belanes avait comparu après son arrestation en décembre 1995, puis en mars 1999, a pu constater de visu certaines traces de la torture encore présentes sur le corps. Sur l’insistance des avocats, il l’a fait enregistrer dans le PV. Il a, cependant, rejeté la demande d’une expertise médicale. Plus grave encore, il s’est basé sur des PV de police, que Belanes a refusé de signer, pour l’inculper et demander son incarcération. Le Procureur de la République avait également la possibilité d’ordonner l’ouverture d’une enquête judiciaire à propos des actes de torture; il a préféré s’abstenir. Dans le rapport présenté en commun par la FIDH, la LTDH et le CRLDHT au Comité contre la torture de l’ONU, Le cas Belanes_ a été l’un des éléments du blâme Onusien du 20 novembre 1998.

Dans les prisons la torture continue...

Le 24 juillet 1999, Tahar Ben Béchir Jelassi, chômeur, la trentaine meurt sous la torture à la prison de Grombalia. Arrivé le jour même à la prison à la suite d’une condamnation à 15 jours pour ivresse, il aurait refusé de se soumettre à la pratique humiliante dite "baisses-toi et tousse"_. Pour le punir, Belhassen Kilani directeur de la prison le fait conduire au pavillon cellulaire où il donne l’ordre à ses agents de le punir. Ces derniers l’ont frappé violemment à coup de brodequins jusqu’à ce que mort s’en suive.

Dans son " Rapport sur la situation dans les prisons "_, le CNLT avait fait déjà état du décès d’un détenu sous la torture à la prison de Borj Roumi, au mois de juin 1999_. Nous avions également communiqué une première liste d’officiers et d’agents de l’administration pénitentiaire impliqués dans des actes de torture. A notre connaissance, aucune mesure notable n’a été prise depuis, et les individus mentionnés dans cette liste continuent de maltraiter les détenus, certains ayant même été promus. C’est le cas, entre autres, de Belhassen Kilani.

Autre forme de torture, L’isolement prolongé a été dénoncé par le Comité des NU pour les droits de l’homme. Cette sanction est principalement utilisée dans les prisons à l’encontre des condamnés à mort et des prisonniers politiques. C’est le cas de Sadok Chourou qui vit dans " l’isolé " depuis son incarcération en 1991et d’autres dirigeants du mouvement " Ennahdha " _. Mohamed Moada, président du MDS a vécu en isolement durant toute la période de son incarcération (1995-1996).

Le déni de justice

Pressions, menaces et nouvelles séances de torture effectuées par les mêmes tortionnaires sont autant d’entraves qui empêchent les victimes de porter plainte pour sévices. Ceux qui bravent la terreur et osent porter plainte voient leurs affaires classées sans même qu’ils soit entendus ou qu’on ordonne la moindre enquête administrative. Dans son rapport du 20 novembre 1998, le Comité de l’ONU a exprimé ses vives préoccupations concernant les pressions que subissent les victimes de la torture de la part des fonctionnaires de l’Etat dans le but de les dissuader de porter plainte. Les cas suivants sont exemplaires :

M.Brahim Rezki a déposé une plainte ( N°18518) auprès du juge d’instruction du tribunal du Kef en 1997 concernant le décès de son fils Mohsen Rezki, suite à un interrogatoire_ musclé des agents chargés de l’enquête. L’affaire a été classée peu de temps après, parce que les témoins dans l’affaire ont été menacés par la police du Kef qui les a enjoint de ne rien divulguer des faits auxquels ils avaient assisté. Ils ont été ainsi contraints de se rétracter. M. Rezki a saisi en vain différentes instances politiques, judiciaires et administratives. Le seul résultat a été la visite d’un responsable venu de la capitale pour l’interroger. Certains agents impliqués dans cette affaire ont été alors mutés en dehors du Kef et ont réintégré leur poste quelques temps après.

M. Hamma Hammami, incarcéré à la prison Nadhor, a déposé le 3 juillet 1995 une plainte (n° 29781), contre, le directeur Hichem Aouni et son adjoint Sami Kalel pour violences. Cette plainte a été instruite par le même tribunal de Bizerte qui avait ouvert la procédure d’enquête sous le n°1/13916. Le 19 novembre 1996, le dossier a été classé pour "insuffisance de preuves" sans même que le plaignant n’ait été entendu.

Le 10 novembre 1999, le Comité international contre la torture adopte une résolution concernant L’affaire Fayçal Baraket, décédé sous la torture le 8 octobre 1991. Cette résolution énumère une série de constats suite à la plainte déposée par Khaled Ben M’barek, coordinateur du Comité d’Information et de Documentation sur la Torture en Tunisie, basé à Besançon, et Jamel Baraket, le frère de la victime.

Le Comité a constaté la violation de l’article 12 de la Convention internationale_ contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants par les autorités tunisiennes qui n’ont ordonné l’ouverture d’une enquête que le 22 septembre 1992, soit 10 mois après les faits. Le Comité considère que le juge chargé de l’enquête n’a pas respecté l’obligation d’impartialité, ni recherché les éléments de preuves qu’ils soient en faveur de l’une ou de l’autre partie. Il considère également que le procureur de la république était tenu de faire appel de la décision du juge d’instruction qui a classé l’affaire. le Comité relève en outre que le ministre de la Justice était en mesure d’ordonner au procureur de faire appel mais s’est abstenu. Le Comité, en conséquence, a conclu à la violation par le gouvernement tunisien des articles 12 et 13 de la Convention qui impose l’ouverture d’une enquête impartiale et honnête " ... à chaque fois qu’il y a des présomptions d’actes de torture commis dans une région relevant de sa compétence territoriale. "

Cette résolution a été à l’origine de nouvelles persécutions à l’encontre de Jamel Baraket. Ce dernier est actuellement poursuivi devant les tribunaux pour une affaire montée de toutes pièces, selon un témoignage qu’il a donné à une délégation du CNLT. Ces persécutions contreviennent aux recommandations du Comité international_ qui insistent sur la nécessité de veiller à ce que les plaignants, les témoins et leurs proches ne soient pas exposés à de mauvais traitements. Nous rappelons à ce propos que le Comité contre la torture a fait état de multiples persécutions dont ont été victimes les témoins dans l’affaire du décès de Faiçal Baraket. L’un des témoins a même été emprisonné. Cela a également été le cas le son épouse, femme au foyer, au prétexte qu’elle aurait "pris part à des activités politiques!".

Trois enquêtes ont été ouvertes dans l’affaire du décès de Faiçal Baraket :

- la première le 6 novembre 1991 a été classée le 30 mars 1992.

- une enquête judiciaire a été ensuite ouverte le 22 septembre 1992 à la suite du rapport publié par le "comité Rachid Driss",

- une troisième enquête en 1994 a fait suite à la première plainte déposée devant le comité de l’ONU (elle avait alors été rejetée).

Il faut noter que toutes ces affaires ont été classées sans même que soient entendus les agents de la Sûreté impliqués dans la mort de Faiçal Baraket. Il s’agit de l’officier Abdelfatah Adib, Abdelkarim Zemali, Mohamed Gabbous, Mohamed Moumni, Fadhel, Salah et Taoufik.

Le 9 aout 1991 une plainte est déposée par le père de Abderraouf Laribi, décédé sous la torture autour du 27 mai 1991_, contre "Abdallah Kalel, ministre de l’intérieur.... pour meurtre avec préméditation ". Curieusement, cette plainte a été rayée au blanco du registre des plaintes et remplacée par une autre affaire, les traces attestant que la plainte a été effacée restent d’ailleurs visibles sur le registre L’avocat avait cependant pris soin d’en conserver une copie enregistrée par le bureau d’ordre_. Ce délit est passible de la prison à vie.

L’intervention partiale des pouvoirs publics

Le système judiciaire confère au parquet la compétence d’ordonner l’ouverture de poursuites sur simple information concernant des infractions à la loi. Le parquet a l’obligation de prendre connaissance des PV d’enquête qui contiennent les déclarations des victimes. De même qu’il a la possibilité d’évaluer l’importance de ces infractions par l’intermédiaire de ses représentants siégeant à l’audience des procès lorsque les victimes donnent leurs témoignages sur les actes de torture et autres mauvais traitements. Le parquet pouvait ainsi intervenir à différents moments de l’affaire. Or, non seulement il s’est abstenu de la moindre action mais son représentant s’est même opposé systématiquement aux demandes d’expertises médicales formulées par la défense. De même qu’il s’est abstenu de toute intervention lorsque le dépassement des délais légaux de garde à vue et la falsification de la date d’interpellation ont été établis. Il a refusé également d’ordonner la convocation des témoins. De même, il a systématiquement rejeté les demandes des avocats de contrôler les registres de garde à vue tenus par le commissariat comme le stipule l’article 13 bis du Code pénal pour vérifier les cas de dépassement de ces délais, assimilé par la loi à une détention arbitraire et clandestine.

Durant la garde à vue, l’expertise médicale n’a généralement pas été effectuée dans les centaines de cas de torture recensés ces dernières années. Au cours de l’instruction, ou durant les autres étapes de la procédure judiciaire, les magistrats en charge du dossier ont également refusé de requérir une expertise médicale lorsqu’un détenu se plaint des tortures subies. Une exception a concerné l’affaire des islamistes jugés par le tribunal militaire en 1992.

Ces pratiques signifient l’octroi d’une immunité aux fonctionnaires impliqués dans les actes de torture. C’est ce que constate le Comité international dans son rapport du 20 novembre 1998. Il considère que les autorités tunisiennes, dans leur persévérance à rejeter les plaintes pour torture, accordent une immunité aux responsables de ces actes barbares et les encourage à persévérer dans cette voie.

Les stars de la torture: Bokassa, Dahrouj, Gatla, Elcasse et les autres

Hassen Abid, le plus ancien tortionnaire tient encore l’affiche. Parmi les noms les plus connus depuis le début des années 80, celui de Mohamed Naceur, qui a reçu la médaille du 7 novembre en 1993 revient le plus souvent. Selon les informations dont nous disposons, il serait originaire de Saad, une localité près de Mahdia. On l’appelle également "Hamadi Helass", on le soupçonne d’être impliqué dans le décès de Moncef Zarouk (1987) et de Ammar Deguachi (1991). Le 10 Juillet 1999, lors du procès du groupe accusé d’appartenance au PCOT, le nom de Ali Mansour a été évoqué par l’étudiante Imen Derouiche qui a déclaré que cet officier avait ordonné de l’agresser sexuellement. Cet officier supérieur, qui a supervisé tous les actes de torture commis dans cette affaire, a été nommé au poste de directeur de l’administration des frontières et des étrangers. Fayçal Redissi alias "Ezzou" est également impliqué dans des actes de torture, D’autres fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ne sont connus que par leurs pseudonymes, comme "El hadj", qui s’est distingué en commettant des sévices sexuels sur l’encontre les parentes d’islamistes. Certains sont devenus experts dans la torture sans traces. C’est le cas de "Bokassa", spécialiste de la suspension "palan". Certaines de ses nombreuses victimes nous ont rapporté que "Bokassa" était passé maître dans l’art de ficeler les poignets sans laisser la moindre trace. Sous ce pseudonyme se cache Abderrahman Gasmi, qui était agent de police au commissariat de Zarzouna (région de Bizerte) dans les années 70. Il a déjà été condamné à la prison pour son implication dans un décès. Citons aussi: Amor Essillini, alias "Toukabri", Béchir Saïdi, chef de brigade, Mahmoud Ben Amor alias "Hichem Karim", Abdelkader dit "Dahrouj", Mahrez dit "Gatla", et un certain "El casse". Mahmoud Jaouadi, responsable de la mort de Fathi Khiari à la caserne de Bochoucha - dirigée alors par Abdelhafidh Tounsi - occupait les fonctions de président de la brigade des renseignements au district de la région de Tunis. Il est responsable actuellement dans la brigade de la "sécurité des banques". Jamel Ayari alias "Rambo" travaille à la brigade de "renseignement" de Bouchoucha. Zied Gargouri, ancien chef de la brigade des renseignements de Bizerte a été muté depuis peu de temps à un autre poste.

Privation de soins et de traitements

Les victimes de la torture continuent de souffrir de leurs séquelles durant de longues années. Certains sont handicapés à vie. Des dizaines de détenus victimes de la torture croupissent en prison, parfois depuis de nombreuses années, sans soins. C’est le cas de Sadok Chourou et Fathi Ouerghi qui souffrent de graves séquelles à leur appareil génital. Abdelmoumen Belanes conserve des traces de torture sur différentes parties du corps. Lassaad Jouhri_ a dû attendre sa libération au bout de 6 années d’emprisonnement pour subir les opérations chirurgicales suite à une grave lésion de la moelle épinière. Aujourd’hui il souffre d’un handicap permanent qui l’oblige à se déplacer à l’aide de béquilles. A sa sortie de prison, Rached Ayed a dû subir l’ablation d’un testicule. L’étudiant Lotfi Hamami souffre d’une grave atteinte à son appareil génital confirmée par les expertises médicales réalisées à sa sortie de prison_. Néjib Baccouche et Ali Jallouli souffrent également de séquelles.

Plus difficiles à identifier les séquelles psychologiques se conjuguent aux séquelles physiques provoquant des atteintes plus graves. Aujourd’hui plus que jamais, l’Etat doit déployer des efforts pour appréhender le nombre des victimes de la torture depuis plusieurs générations, et leur assurer le traitement adéquat dans les différentes spécialités requises. Il faut signaler que les victimes de la torture se font soigner à leurs propres frais. l’Etat s’abstient de toute forme de réparation.

Certaines familles des personnes décédées sous la torture en 1991 perçoivent néanmoins une indemnité mensuelle de l’Etat. C’est le cas des veuves de Fathi Khiari et Raouf Laribi qui ont été reçues par Sadok Chaabane, alors Conseiller à la Présidence chargé des droits de l’homme. Et ce, suite au rapport de Rachid Driss qui a exprimé de sérieux doutes concernant les raisons invoquées par les services de police à propos de certains décès survenus en détention. Le Conseiller leur a exprimé des "regrets" officiels concernant la mort de leurs époux avant de leur remettre une somme d’argent ...en espèces. Par la suite, la veuve de Fathi Khiari a obtenu aussi un logement "SPROLS". D’un autre côté, la veuve de Aziz Mehouachi décédé dans les mêmes circonstances et à la même époque a obtenu une aide gouvernementale pour l’acquisition d’un logement.

L’absence de volonté politique de combattre la torture

Le gouvernement tunisien a introduit des amendements à la législation sur la garde à vue et la torture dans le cadre de la loi 90 de 1999 qui amende l’article 13 bis du Code de procédure pénale ainsi que la loi 89 de 1999 qui complète les dispositions du Code pénal par l’introduction de l’article 101 bis en date du 2 août 1999.

Le comité contre la torture de l’ONU, dans sa résolution du 20 novembre 1998, avait incité le gouvernement tunisien à réduire les délais de garde à vue à 48h au maximum. De même qu’il l’a exhorté à amender la législation concernant la torture afin qu’elle soit en conformité avec la définition de la torture que donne l’article premier de la Convention et qu’elle garantisse la nullité des aveux extorqués sous la torture, sauf dans les cas où ils serviraient de base à une plainte pour torture.

Ainsi avec l’amendement de l’article 13 bis du Code de procédure pénale, la durée de la garde à vue a été ramenée de 10 à 6 jours. La mention sur le PV de la notification à la famille de l’interpellation de la personne détenue, l’information de celui-ci des raisons de son interpellation, ainsi que son droit à exiger une visite médicale, ont été introduits.

Désormais le procureur de la république est tenu d’apposer sa signature sur les pages du registre de la garde à vue conservé au commissariat et sur lequel doit figurer également l’information de la famille. Le nouvel article, 101 bis, définit le crime de torture sur la base d’une lecture assez particulière de l’article premier de la Convention internationale. Cette interprétation décharge de la responsabilité pénale les fonctionnaires de l’Etat et les personnes qui agissent sous mandat officiel, lorsque des actes de torture sont commis à leur instigation, ou s’il les tolèrent ou s’abstiennent de les dénoncer. Cet article prévoit des peines de 8 ans de prison pour ceux qui ont pratiqué la torture.

Le phénomène de la torture est lié davantage à l’absence d’une volonté politique de respecter les procédures légales et d’appliquer la Convention internationale contre la torture, plutôt qu’à un déficit de textes juridiques.

Une Justice délabrée

Bien que le nombre de procès ait été réduit, par rapport au début des années 90, ils se sont quand même poursuivis malgré les dénonciations et les appels émanant des organisations de défense des droits humains. Il se sont déroulés selon le même scénario et pour les mêmes motifs, en violation flagrante des droits de la défense. Dans la plupart des cas, ces procès ont abouti à des condamnations iniques pour des faits concernant l’exercice de droits garantis par la Constitution.

La législation onusienne qui définit les critères de détention arbitraire renvoie à un ensemble de principes adoptées par le Groupe de Travail sur la Détention Arbitraires créé par la décision n° 42/1991. Celle-ci dispose que "la détention arbitraire est celle qui découle d’une décision illégale de poursuites ou jugements se rapportant à l’exercice de la liberté d’expression ou de l’une des libertés consacrée par les articles 7-13-14-18-19-20-24 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que les articles 12-18--19-21-22-25-26-27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou bien quand ne sont pas réunis partiellement ou totalement les conditions d’un procès équitable".

Ces conditions, qui s’appliquent à l’ensemble des cas cités, ont fait l’objet d’un avis du Groupe de travail concernant K. Ksila et Mohamed Ali Bedoui.

Le CNLT a assisté en observateur à certains de ces procès.

Khémaïs Ksilla

Vice-président de la LTDH et membre du Comité administratif de l’Institut Arabe des Droits de l’Homme, il a été emprisonné le 29 septembre 1997 suite à un communiqué critique adressé à l’opinion publique, dans lequel il annonçait sa décision d’entamer une grève de la faim.

La détention de K. Ksila est considérée comme arbitraire compte tenu notamment des irrégularités qui ont marqué son dossier :

a) aucun mandat d’amener lors de son interpellation par la police politique le soir du 29 juillet 1997.

b) la composition du tribunal a été modifiée sans que la Cour ne procède à une nouvelle audition de l’inculpé.

c) la présence particulièrement importante de la police qui a interdit aux amis et à la famille de l’inculpé l’accès à la salle d’audience.

Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a considéré K. Ksila dans sa décision du 4/5/98 comme détenu arbitrairement. Le Comité Régional des Droits de l’Homme a, pour sa part, ouvert une enquête sur huit défenseurs des droits humains, dont M. Ksila.

Mohamed Ali Bedoui

En 1994, Mohamed Ali Bedoui a été condamné à 2 ans de prison par le Tribunal correctionnel de Gabès pour appartenance à une association non reconnue. La peine était assortie d’un contrôle administratif de deux années. En 1998, il est condamné à une peine de 6 mois de prison pour avoir contrevenu à cette décision_. En Mai 1999, il est de nouveau condamné à une peine de 6 mois par le même tribunal et pour les mêmes faits.

Les persécutions subies par Mohamed Ali Bedoui ont, en fait, pour objectif de dissuader son frère Moncef Marzouki de poursuivre ses activités militantes. Ainsi, la première affaire, en 1994, a coïncidé avec la tenue du Congrès de la LTDH, la deuxième affaire a eu lieu lors des travaux préparatoires à la constitution du CNLT; la troisième a correspondu à l’annonce de la fondation du CNLT.

L’affaire Mohamed Ali Bedoui a contribué à mettre à nu un système d’Etat scandaleux - que le pays n’a jamais connu auparavant dans ses relations avec les opposants politiques – qui persécute les innocents et les juge sans aucun fondement légal, malgré les nombreuses irrégularités et la violation de principes fondamentaux

Les étudiants de l’UGET :

Des étudiants membres de l’UGET ont comparu le 15 mai 1999 en état d’arrestation. Il s’agit de : Noureddine Ben Ticha, Taha Sassi, Heykel Manaï, Nejib Baccouchi, Fahem Boukaddous, Imen Derouiche, Hend Aroua, Afef Ben Rouina, Ridha Oueslati, Kaïs Oueslati, Borhane Gasmi, Ali Jellouli.

Dans cette affaire, Hamma Hammami, porte parole du PCOT (non reconnu), Samir Taamalli et Abdeljabar Madouri, en état de fuite, ont été jugés par contumace. Maître Radhia Nasraoui impliquée également comparaissait en état de liberté.

Tous les chefs d’inculpation concernent des délits d’opinion : appartenance à une association non reconnue incitant à la haine, diffamation de l’ordre public, diffamation des cours et tribunaux, distribution de tracts, diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public, incitation à la rébellion.

Maître Nasraoui était, quant à elle, inculpée " pour avoir facilité la tenue de réunions non autorisées ".

Le procès a été marqué par la violation flagrante des textes relatifs à la garde à vue et à la détention préventive qui a dépassé, pour tous les inculpés, les 18 mois.

Les inculpés, en état d’arrestation, ont dénoncé les moyens sophistiqués de torture utilisés par la police pour leur extorquer des aveux_. Le juge Faouzi Ben Amara, présidant l’audience, a refusé de les entendre et d’enregistrer leur plainte. La partialité du juge Ben Amara l’a conduit à interrompre brutalement Imen Derouiche qui relatait l’agression sexuelle dont elle a été victime dans les locaux de la police par le tortionnaire Ali Mansour.

Faouzi Ben Amara a pratiquement fait obstacle à toutes les plaidoiries de la Défense. Il a manifesté son irritation face à la détermination des avocats à dénoncer l’usage de la torture et les irrégularités judiciaires. Tout comme il interrompu successivement Maîtres Hachemi Jegham, Taoufiq Bouderbala, Mokhtar Trifi et Jamel Bida qui évoquaient les irrégularités de procédure et le blâme adressé par le Comité des Nations Unies contre la torture à la Tunisie le 20 novembre 1998. Au terme d’un procès marathon de 18 heures, il menace ainsi Me Jameleddine Bida de le juger séance tenante, provoquant le retrait général des avocats.

Il a également interdit aux avocats maghrébins et français, dont la Bâtonnière de Paris, Me De La Garanderie, de plaider dans cette affaire, violant ainsi les dispositions des conventions en vigueur entre la Tunisie, la France, l’Algérie et le Maroc.

Le 14 juillet, la Cour a prononcé de lourdes peines allant jusqu’à 9 ans et 3 mois de prison ferme. Me Nasraoui a, pour sa part, été condamnée à 6 mois de prison avec sursis. Cette peine vient s’ajouter à la peine de 15 jours de prison avec sursis, confirmée en appel, à laquelle elle venait d’être condamnée en avril 1999. Elle avait assisté aux obsèques de sa belle-mère à Bouarada, contrevenant ainsi à l’ordonnance du juge d’instruction lui interdisant de quitter le Grand Tunis.

Les peines prononcées ont toutes été confirmées par la Cour d’Appel. Les inculpés ont par la suite été libérés conditionnellement sauf Fahem Boukaddous.

Les observateurs, représentant 14 organisations internationales, ont été unanimes à constater que ce procès était une parodie de justice!

Abdelmoumen Belanès :

Le 17 août 1999 Abdelmoumen Belanès est traduit pour une quatrième affaire (N°36766) devant la Chambre correctionnelle. Son président Faouzi Ben Amara le condamne à quatre années de prison ferme pour maintien d’une association non reconnue, diffusion de fausses nouvelles, incitation à la rébellion, distribution de tracts, diffamation de l’ordre public et des Cours et Tribunaux .

Comme dans les affaires précédentes, la Cour a rejeté les demandes d’expertises médicales, comme elle a refusé la communication de certaines pièces importantes du dossier, suscitant le retrait des avocats. A. Belanès a tout de même été jugé sans la commission d’un avocat d’office qu’il avait réclamé après le retrait de la Défense. En appel, le jugement a été confirmé (Af. N° 8354 du 10/09/1999).

Le 14 juillet, A. Belanès a été, en outre, condamné, avec Ali Jelouli et Béchir Abid, pour des chefs d’inculpation similaires, à un an et demi de prison ferme, devant la juridiction d’Appel, présidée par le juge Jedidi Gheni (Af. N°4097).

Nizar Chaari :

En 1998, Nizar Chaari, universitaire résident en France, a été arrêté lors d’une visite en Tunisie. Il a été condamné le 11/5/99 par la 12ème Chambre criminelle de Tunis à trois années de prison ferme pour "appartenance à une association de malfaiteurs" sur la base d’une loi qui enfreint le principe de la territorialité des lois_ appliqué de surcroît rétroactivement et pour des faits remontant à 1992. Les faits reprochés à Nizar Chaari concernaient sa participation à un Forum islamiste tenu en France. Suite à une campagne internationale, Nizar Chaari a bénéficié d’une libération conditionnelle, au bout d’une année de détention.

Abderraouf Chamari

A.Chamari est Directeur général d’une importante société de promotion immobilière et touristique à Hamamet. Il a été condamné le 29 juillet 1999 par le tribunal correctionnel, présidé par le juge Hedi Ayari, de Tunis à 12 mois de prison ferme pour diffusion de fausses nouvelles et diffamation au motif d’une déclaration qu’il aurait faite dans un cadre privé concernant des affaires de corruption dans lesquelles serait impliqué l’ancien ministre de l’environnement Mehdi Mlika. Suite à une campagne internationale, A.Chamari a bénéficié peu de temps après d’une libération conditionnelle.

Saïda Almi et Hayet Ferchichi

Il s’agit de deux étudiantes qui avaient participé au début des années 90 à une manifestation de soutien à l’Irak. le 29 octobre, le Tribunal correctionnel de Tunis les avait condamné à une peine de 6 mois de prison (af. N° 33887/490) pour " participation à un attroupement armé ". Jugement confirmé en appel par défaut, le 8 mars 1991.

Le 5 février 1993, elles font opposition à ce jugement. Le 30 juin 1998, soit 5 années plus tard, et à l’issue de 31 audiences, la cours les condamne à d’emprisonnement avec sursis (affaire n°82316). Mais l’affaire n’en était pas pour autant terminée. Sur pourvoi du ministère public, l’arrêt de la Cour d’Appel est cassé et l’affaire renvoyée pour qu’il y soit statué de nouveau devant la juridiction présidée par le juge Jedidi Gheni (Af. N°1636). De renvoi en renvoi, pour citation des inculpés, l’affaire a été finalement mise en délibéré le 26 février 2000, sans que Mme Almi fût citée à comparaître conformément à la loi. Le plus étrange dans cette affaire est la signification à Mme Almi d’une citation à comparaître le 19 février 2000, par fax émanant de l’inspecteur général des services judiciaires, M. Mohamed Salah Ben Ayed (ancien juge d’instruction près la Cour de Sûreté de l’Etat). C’est, là encore, une preuve flagrante de l’interférence du ministère dans les affaires pendantes devant les tribunaux. Le prononcé de ce jugement aura nécessité la falsification de pas moins de 3 procès verbaux d’audience.

Fadhel Beldi:

Une condamnation par défaut (affaire N°59548) à 2 ans de prison ferme en appel, prononcée le 24 avril 1992, a été notifiée au début de l’été dernier à M.Fadhel Beldi, ancien dirigeant du mouvement " Ennahdha ". Le jugement en première instance, pour diffusion de fausses nouvelles et diffamation de l’ordre public, lui avait pourtant accordé un sursis. Les faits, qui remontent à l’année 1990, concernent la signature d’un communiqué, en sa qualité de Porte-parole d’ " Ennahdha ",  relatif aux événements en Irak.

Arguant de la prescription, Fadhel Beldi fait opposition le 13 juillet 1999 à ce jugement. Le dossier passe devant la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Tunis (Affaire N°17111/20), présidée par Amor Farouk Gharbi le 3 Août 1999. Alors qu’il avait à la même audience prononcé des non-lieux pour prescription de la peine, cette fois, il préfère la renvoyer devant une autre correctionnelle. L’affaire a été mise en délibération pour le 17 mars 2000.

Moncef Araïssia

Le 26 juin 1998, M.Moncef Araïssia fait opposition à un jugement prononcé l 30 décembre 1991 et le condamnant, par défaut, à une peine de prison ferme, pour appartenance à une association non reconnue et seize jours, pour tenue de réunion illégale. L’affaire est, alors, portée devant la chambre présidée par le juge Jedidi Gheni (affaire N° 92709) qui confirme le jugement, malgré la prescription évidente des faits et en violation flagrante des dispositions de l’article 349 du Code de procédure pénale.

Radhia Aouididi

Inculpée avec d’autres personnes pour appartenance à une bande de malfaiteurs, la Cour d’Appel de Sfax a fini par reconnaître son innocence le 25/11/99 mais le ministère public s’est promptement pourvu en cassation (Af. n°8746).

Mohamed Bedoui

Condamné à deux ans de prison dans le cadre des procès concernant le mouvement Ennahdha, Mohamed Bédoui n’a pas été libéré après avoir purgé sa peine. Sa famille a donc présenté une requête auprès du ministère public pour s’enquérir des raisons de son maintien en détention. Après examen de son dossier, l’Avocat Général près la Cour d’Appel de Tunis, ordonne, le 9/2/98, par télégramme, qu’il soit relaxé. L’administration pénitentiaire n’a cependant exécuté cette ordonnance au bout de quelques jours.

Taoufik Kebaoui

Le 15 juillet 1992, Taoufik Kebaoui est condamné par la Cour d’Appel du Kef à huit ans de prison ferme dans le procès d’un groupe présumé appartenir au mouvement Ennahdha. Incarcéré depuis le 18 janvier 1991, il aurait dû être libéré le 18 janvier 1999. Il est, cependant, maintenu en détention au prétexte qu’il aurait "participé à l’incendie du lycée technique du Kef" alors qu’au moment des faits (1992), il se trouvait en prison !

Ahlem Gara Ali, Saloua Dimassi et Amor Seghaïer

Cette affaire a concerné 15 inculpés (Af. N°27174, 13ème Chambre de la Cour d’Appel de Tunis). accusés de constitution d’association de malfaiteurs (Ennahdha) pour des faits remontants à l’année 1990. Les deux femmes ont subi des sévices corporels lors de leurs arrestations en mai 1996. Amnesty International, et Human Rigth Watch sont intervenus en leur faveur.

Hichem Hamoudi, Mohamed Mohsen Soudani

Ils ont tous deux été condamnés le 22 avril 99 dans l’affaire n°28100 par la Cour criminelle de Tunis présidée par le juge Ridha Boubaker à une peine d’emprisonnement de 4 années pour constitution d’une association de malfaiteurs.

Ridha Boukadi, Zouhair Yaacoub et autres

Cette affaire ( N°8790) a été examinée par la Chambre correctionnelle du tribunal de Sfax les 9/12/99 et 20/1/2000. Elle a concerné un groupe de quelques dizaines de personnes présumées appartenir à Ennahdha. Certains d’entre eux avaient été extradés par la Libye. Cette extradition constitue une violation flagrante de l’art.3 de la Convention internationale contre la torture et de l’art. 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il semble que cette extradition ait eu lieu en application de la Convention arabe contre le terrorisme qui constitue, en réalité, un instrument de coordination entre les régimes arabes pour réprimer leurs opposants.

Ahmed Lamari, Zouhair Yaacoub et autres

Cette affaire concerne un groupe de plusieurs dizaines de personnes présumées appartenir à Ennahdha dont certains ont été également extradés par la Libye (Af. N°29466/12, Cour d’Appel de Tunis). Renvoyée d’audience en audience, elle est finalement fixée au 30 mars 2000 pour commission d’avocats d’office et présentation des pièces prouvant, pour certains inculpés, qu’il y avait autorité de la chose jugée..

Il faut signaler que Zouhair Yaacoub est inculpé pour les mêmes faits dans les deux affaires! Ces dernières années, dans les affaires relatives à des inculpés présumés appartenir au mouvement islamiste, les juges rejettent, dans de nombreux cas concernant des faits déjà jugés, l’autorité de la chose jugée.

La Constitution confère le droit de grâce au Président de la République. Cependant, ce dernier, depuis longtemps, s’abstient d’en faire bénéficier la trentaine de condamnés à mort. Ceux-ci vivent, de ce fait, dans une attente insoutenable, depuis des années_, pour certains.

De même, la grâce présidentielle, qui procède de valeurs humaines universelles comme le pardon et le dépassement, n’est plus accordée aux autres catégories de condamnés, depuis 1996. Dans la pratique, il est seulement fait usage de la libération conditionnelle, décidée par le Président de la République sur avis de la commission qui se réunit au ministère de l’Intérieur. Ce recours, contraint, parfois, les autorités à ne pas respecter les dispositions légales (qui stipulent que le bénéficiaire doit avoir effectué au moins la moitié de la peine).

Main basse sur l’espace public

La liberté de se constituer en association, en parti politique et en syndicat se heurte en Tunisie à un arsenal de textes législatifs qui en hypothèque l'exercice, en annule l'effectivité, en nie le droit aux citoyens. Ces entraves, aux multiples facettes, trouvent leur expression dans le flou du texte constitutionnel, l'autoritarisme du texte législatif et l'arbitraire administratif.

La Constitution tunisienne de 1959 garantit formellement ce droit et renvoie aux lois pour en définir le cadre d'exercice. En effet, tout en posant le principe " que les citoyens exercent la plénitude de leurs droits dans les formes et conditions prévues par la loi ", l'article 7 admet d'y apporter des limitations " par une loi prise pour la protection des droits d'autrui, le respect de l'ordre public, la défense nationale, le développement de l'économie et le progrès social ".

Si les libertés d'opinion, d'expression, de presse, de publication, de réunion et d'association sont garanties, elles sont, selon les termes mêmes de la constitution, " exercées dans les conditions définies par la loi" (Art. 8). Il en est de même pour les partis politiques, dont la "constitutionnalisation" tardive, lors de la révision d'octobre 1997, relève davantage de l'habillage juridique que d'une volonté réelle de promouvoir leur rôle dans la vie politique du pays.

Cette révision et celles qui l'ont suivies, laissent en l'état la question des droits et des libertés. Bien plus, elles renforçant le présidentialisme d'origine, aggravent le déséquilibre des pouvoirs. A l'intérieur de l'exécutif (entre le président et le premier ministre et son gouvernement tenus pour seuls responsables d'une politique qu'ils ne définissent pas) comme dans les rapports entre la chambre et le président. Ce dernier dispose de l'initiative prioritaire des lois, de 3 formes de décrets-lois, du pouvoir réglementaire général autonome, du référendum et de moyens de pression sans équivalents pour la chambre.

Dans ce tableau général, seul le droit syndical est garanti sans autre forme de précision (cf. chapitre sur la liberté syndicale).

Participant du monolithisme politique que véhicule la constitution, les lois qui encadrent ces libertés sont, dans leur diversité, liberticides.

Ainsi, la loi sur les associations (loi du 7 novembre 1959) soumet leur constitution à un régime déguisé d'autorisation préalable, accorde au ministre de l'intérieur un pouvoir exorbitant d'opposition à leur existence légale, soumet leur fonctionnement à un statut type, impose d'autorité qu'elles soient classées dans l'une des huit catégories introduites par l'amendement du 2 avril 1992, interdit à leurs dirigeants d'occuper des postes de directions au sein des partis politiques, réprime sévèrement les infractions à la loi en prévoyant des sanctions administratives et pénales allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

La loi sur les partis politiques du 3 mai 1988, une loi de circonstance, instaure un régime strict d'autorisation préalable dont dispose, sans limites, le ministre de l'Intérieur, place le parti sous contrôle administratif permanent, pénalise sévèrement les infractions.

Ces lois couvrent l'arbitraire administratif et fonctionnent comme barrage à l'exercice libre des droits collectifs.

Simple formalité que l'administration est tenue de délivrer au moment du dépôt du dossier, la procédure du récépissé (généralement non délivré ) est transformée de fait en visa. Le délai de réponse est suspendu et avec lui, la vie de l'association ou du parti.

La motivation des décisions de refus quand elle existe, se réduit à des formules laconiques sur la non conformité de l'association aux dispositions de la loi. Combinées aux lois sur les réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements (loi du 24 janvier 1969) et sur la presse (loi du 28 avril1975), ces dispositions et pratiques sont de véritables machines de guerre contre les opposants politiques, les défenseurs des droits humains et les syndicalistes qui entendent pratiquer leur citoyenneté en acteurs autonomes de la société civile. Les cas qui suivent témoignent de l'ampleur de la répression et de son caractère multiforme.

La répression des groupements " auto-constitués "

La vie politique en Tunisie offre plusieurs exemples passés et récents d'associations et de partis qui, considérant ces lois liberticides, se sont auto-constitués. Leurs adhérents sont, pour ce seul fait, menacés et sanctionnés à de lourdes peines d'emprisonnement et contraints, pour y échapper, à la clandestinité ou à l’exil.

Le cas typique est celui du Parti Communiste Ouvrier Tunisien qui, dans un premier temps, passant outre le régime législatif de la constitution légale, est tombé sous le coup de la loi et a vu ses dirigeants et adhérents pourchassés, jugés, emprisonnés, torturés. Bénéficiant, un temps, d'une politique de tolérance, le PCOT est autorisé à publier son journal, Al Badil. L'éclaircie ne dure guère et le PCOT se retrouve de nouveau dans l'étau du pouvoir. Plusieurs procès sont intentés contre ses militants accusés de maintien d'association non reconnue et autres " délits politiques " (cf chapitre sur les procès). Le porte-parole du parti, Hamma el Hammami, vit depuis deux ans dans la clandestinité.

L’Organisation des Communistes Révolutionnaires, constituée en 1985 a adopté la même démarche et s’est trouvée en butte à la répression. Fin 1991, 24 de ses militants sont passés devant les tribunaux du Kef et de Sidi Bouzid pour " appartenance à association non reconnue ". condamnés à des peines de prison ferme, ils ont été spoliés de leurs droits civiques et interdits de travailler et de poursuivre normalement leur scolarité. Aujourd’hui, deux de ses militants, Jalel Zoghlami et Rafiq Khalfaoui sont encore sous le coup d’inculpations politiques.

Cette répression ne touche pas seulement les partis, mais également les structures ad-hoc comme le Comité de défense des prisonniers d’opinion (connu sous le nom de " comité des 18 ") fondé en janvier 1993 alors que la LTDH était sous le coup de la dissolution. A peine annoncée la constitution de ce comité, l’ensemble de ses militants ont été arrêtés et inculpés par le juge d’instruction. Son coordinateur , M.Salah Hamzaoui, a été incarcéré pendant 16 jours. L’affaire n’a, à ce jour, pas été classée.

La répression des groupements ayant suivi toutes les procédures légales

Le 7 juin 1989, le ministre de l’Intérieur rendait public un arrêté rejetant la demande de visa déposée par la direction d’" Ennahdha ", nouvelle appellation du " Mouvement de la Tendance Islamique " qui voulait ainsi se conformer à la nouvelle loi sur les partis. Cette décision venait deux mois à peine après le scrutin des élections législatives de mars 89 qui attribuait officiellement à cette mouvance plus de 10% des suffrages et la rangeait en deuxième position après le RCD. Cependant en mai 1990, cette mouvance recevait l’autorisation de publier un journal,  Al Fajr qui paraîtra quelques mois jusqu’à sa suspension et l’emprisonnement de son directeur Hammadi Jebali. Le début de l’année 91 verra le coup d’envoi d’une véritable chasse aux sorcières visant les membres et sympathisants de ce mouvement. Mars 91, ce sera au tour de l’UGTE, syndicat étudiant proche d’"Ennahdha " d’être dissous par A. Kallel, le nouveau ministre de l’Intérieur qui va orchestrer cette campagne de répression, la plus vaste qu’ait connu la Tunisie indépendante et qui se soldera par l’arrestation, la torture ( jusqu’à la mort pour certains cas) et l’emprisonnement de milliers de tunisiens pour " appartenance à association illégale ". Elle sera l’occasion pour le pouvoir d’installer un imposant appareil de répression policier sur l’ensemble de la société.

Suivre toutes les étapes, toutes les procédures exigées par la loi sur les associations et les partis ne préserve pas ses fondateurs de la répression qui, à tout moment, peut s'abattre sur eux. Ainsi en est-il pour Béchir Essid, S.G. du Rassemblement Unioniste Démocratique, qui, après avoir observé les formalités du dépôt, attendu le délai de quatre mois au terme duquel le silence de l'administration vaut acceptation et procédé à l'insertion du visa au Journal Officiel, s'est vu condamné et jeté en prison durant près de trois ans, pour "délit de droit commun". Affaire monté de toute pièce , elle n'est pas sans précédent et ne manque pas de renseigner sur la réalité du couple justice et politique.

Interpellation et détention lors de la proclamation de l'existence de l'association ou du parti

Le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés, créé le 9 avril 1994, après trois tentatives avortées auprès de l'administration du ministère de l'Intérieur pour obtenir le récépissé, adresse un communiqué à la presse pour information. L'après-midi même, le secrétaire général du Forum, le docteur Mustapha Ben Jaâfar est interpellé et interrogé. Le Forum connaîtra de nouvelles épreuves suite au retour par courrier de l'accusé de réception du ministère de l'intérieur. Le considérant équivalent au récépissé, les fondateurs du Forum publient le 19 octobre 1994, après observation des fatidiques quatre mois, un communiqué de presse informant de la constitution légale du nouveau parti. Les fondateurs du Forum sont alors interpellés. Plus tard le 25 octobre 1999, il publie un communiqué dénonçant les résultats des élections législatives et présidentielles du 24 octobre. Le 9 novembre son secrétaire général est interpellé et comparait devant le doyen des juges d'instruction pour diffusion de fausses nouvelles et maintien d'une association non reconnue.

L'épreuve du récépissé

Alors que l'administration se trouve en ce domaine dans un cas de compétence liée, elle se reconnaît de fait un pouvoir discrétionnaire. De ce fait, la formalité du dépôt se transforme en véritable épreuve de force entre les personnes désirant former une association ou un parti et l'administration du gouvernorat ou du ministère de l'intérieur selon le cas. Celles-ci refusent, dans la quasi totalité des cas, de délivrer le récépissé. Loin de constituer une simple omission ou négligence, la non délivrance rentre dans une stratégie de blocage et de démantèlement de la dynamique associative et politique. Le Rassemblement pour une Alternative Internationale de Développement (RAID), association locale affiliée à ATTAC (Association internationale non gouvernementale luttant contre la mondialisation libérale et pour la taxation des transactions financières), attend depuis le 9 septembre 1999 le récépissé à défaut duquel elle ne peut ni se prévaloir de l'acceptation tacite, ni arguer devant le juge de l'inconstitutionnalité de la loi sur les associations.

L'arbitraire du refus de la légalisation .

Il est exceptionnel qu'une décision expresse de refus soit notifiée aux intéressés et il est encore plus exceptionnel que le ministère de l'Intérieur motive sa décision de refus. Le Conseil National des Libertés en Tunisie, créé en décembre 1998, en fera la triste expérience. Après deux mois du dépôt du dossier, le ministre de l'Intérieur notifie son refus, sans le motiver. Depuis, trois instructions sont ouvertes contre son porte parole le docteur Moncef Marzouki pour maintien d'une association non reconnue, diffusion de tracts, diffusion de nouvelles de nature à troubler l'ordre public, diffamation. Suite à l'instruction judiciaire du mois de juillet, son secrétaire général, Omar Mestiri, est assigné à ne pas quitter le district de Tunis, l'empêchant ainsi de se rendre sur les lieux de son travail agricole.

Le noyautage des associations et partis existants

Les associations et partis déjà constitués n'échappent pas aux intimidations et pratiques attentatoires aux libertés. Le cas le plus flagrant est celui de la Ligue Tunisienne Des Droits De L'homme. Première ligue arabe et africaine, elle joue depuis sa création en 1977 un rôle de contre-pouvoir efficace. Suite à une série de communiqués (juin 1991et décembre 1992) par lesquels elle dénonce des morts suspectes survenues en période de détention dans les locaux de la police, le pouvoir décide de la noyauter sous couvert de la loi. Il engage à cette fin la révision de la loi sur les associations dont le résultat (l'amendement du 2 avril 1992) est de soumettre la Ligue au régime "très spécial " des associations dites générales et à l'obligation d'accepter l'adhésion de toute personne s'engageant à respecter ses principes et ses décisions. Refusant de se soumettre à une loi qui menace son intégrité et son autonomie, la Ligue, est dissoute le 13 juin 1992. Elle ne reprendra son activité que par l'effet d'une décision du Tribunal administratif qui finit par accepter le recours en sursis à exécution en avril 93_.

Les partis en place ne sont pas à l'abri de ces pratiques. Tel est le cas du Mouvement Des Démocrates Socialistes qui, dès 1991 fait l'objet de véritables purges orchestrées par le pouvoir, lequel fait et défait les directions, selon le degré d'allégeance qu'elles affichent. Si les péripéties du MDS ont bénéficié des faveurs des médias, l’ensemble des partis reconnus ont vécu des crises et des scissions ayant abouti à l’exclusion des éléments les plus d’indépendance.

Surveillance, intimidations et asphyxie

Sous surveillance permanente, les structures de défense des droits de la personne et des partis légalement constitués subissent sans répit toutes formes de pression et d'intimidation : coupure du téléphone, interception de fax et de courrier, filature de leurs militants, menaces directes et indirectes. Elles sont doublées par des mesures de sanction déguisées à l’encontre de leurs membres: confiscation du passeport, mutation professionnelle, suppression de l'emploi, refus d'accorder le détachement, etc. Tel est le quotidien de toutes les associations autonomes de défense des droits de la personne telles que la Ligue Tunisienne des Droits de L'homme, de L'Association Tunisienne des Femmes Démocrates ou de l'Association Des Jeunes Avocats, même l’association des amis des oiseaux . Ces associations vivent une interdiction quasi permanente d’utiliser les espaces publics pour la tenue de conférences ou de réunions publiques. Le 12 décembre 1998, à l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, une manifestation prévue à la maison des avocats, dans le cadre d'une action inter associative entre l’ATJA, la LTDH, l'ATFD, la section tunisienne d’Amnesty International et l'UGET, a été brutalement interdite.

Ces exemples montrent, s'il en faut, l'extrême difficulté à participer de manière autonome à la vie publique, qu'elle soit associative ou politique. Quadrillé de toute part, le champ public n'est conçu que comme un lieu monolithique réservé aux seuls thuriféraires et autres encenseurs du régime en place. Des associations sont artificiellement créées ( Avocats sans frontières, Médecins sans frontières, Association tunisienne des mères....) pour occuper le terrain et servir d'alibi à un pouvoir en perte de légitimité qui erre sans projet et confisque les libertés. Dans ce système où l'unanimisme a remplacé le politique, le débat sur les questions de société est interdit.

Le temps du silence

Avec ses 166 titres recensés officiellement, le paysage médiatique tunisien est désespérément aride. Cette désertification a été méthodiquement organisée depuis 12 ans pour ne laisser place qu’à un appareil de propagande.

Aucune référence n’est faite au concept du "droit du citoyen à l’information" dans le code de la presse. L’agence TAP (Tunis Afrique Presse) fournit quotidiennement l’information politiquement correcte sur tous les sujets : activités présidentielles et gouvernementales, culture ou météo. Tandis que les organes de désinformation attitrés (El Hadeth, El Iilan, El Moulahedh…) se chargent d’orienter l’opinion du lecteur. Cette presse de caniveau diffame et porte atteinte, en toute impunité, à l’honneur des citoyens qui ne sont pas dans les faveurs du prince. Aucun procès contre ces publications n’a abouti à ce jour. Saadoun Zmerli (vice-président de la FIDH), Khemais Chamari (défenseur des droits de l’homme en exil), en 1997, et son épouse l’avocate Alya Chamari, en 1998 ont porté plainte contre El Hadeth pour diffamation, mais leurs plaintes sont restées sans suites et Jeridi, le directeur de cette feuille de choux se vante de son impunité.)

Alors que l’article 8 de la Constitution stipule que "les libertés d’opinion, d’expression, de presse, de publication, de réunion et d’association sont garanties et exercées dans les conditions définies par la loi ...", le Code de la Presse s’est appliqué à vider ces libertés de leur contenu, accordant de fait au seul ministre de l‘intérieur le loisir de disposer de ces droits à son gré. Le citoyen n’a aucun recours contre un texte législatif étant donné que le Conseil constitutionnel est un organe consultatif qui ne peut être saisi que par le Chef de l’Etat.

Dans son discours d’investiture du 15 novembre 1999, Ben Ali a annoncé la révision de ce Code en vue d’en extirper les causes de l’autocensure qui handicape l’élan de la Presse nationale. " …à travers cet amendement, nous veillerons à réfréner le complexe d’autocensure qui continue d’entraver l’action des journalistes et la production médiatique en général.". Immédiatement, les journalistes aux ordres se sont répandus en conjectures sur les dispositions à revoir. Curieusement, ils se sont arrêtés sur les critiques faites par le mouvement démocratique, les reprenant à leur compte. Mais l’amendement qu’ils suggèrent, c’est le remplacement des dispositions discrétionnaires administratives par un handicap " censitaire " (un montant exorbitant bloqué dans une banque qui ferait office de visa) (Cf : L’hebdomadaire " Réalités " N° 731 du 23 au 29 décembre 99) barrant ainsi la route à la liberté de publication des périodiques aux intellectuels en en faisant un privilège de riches!

En attendant, la publication des périodiques continue d’être soumise à un régime d’autorisation préalable dissimulé derrière un régime de déclaration. Le procédé est simple : l’article 13 du CP prévoit que le directeur du périodique projeté doit faire une " déclaration " au ministère de l’intérieur et " il en sera donné récépissé ". L’administration prends la déclaration mais s’abstient de fournir le récépissé exigé par l’imprimeur (art 14) pour imprimer le périodique. C’est ainsi que le 29 septembre 1989, l’historien Mohamed Talbi dépose une déclaration pour Maqasad, une revue qui voulait combattre le fanatisme religieux, faisant valoir un islam ouvert. De son côté Noura Borsali, membre du bureau de l’ATFD avait déposé en 1991 une déclaration pour publier  La Maghrébine, une revue féministe, les journaux annoncent l’événement. En janvier 2000 les deux revues attendent toujours le récépissé sans lequel aucun imprimeur ne peut les publier. Plus récemment, le 16 novembre 1999, S. Bensedrine dépose une déclaration pour Kalima, journal d’informations générales. Face au refus de l’administration de lui délivrer le récépissé, elle proteste auprès du ministre de l’Intérieur et lance un appel public où elle exhorte les journalistes tunisiens à rejoindre Kalima.

Non seulement Le Code de la Presse ne favorise pas la liberté d’expression, c’est le texte législatif le plus sollicité dans les procès d’opinion. Le délit de diffusion de fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public prévu par l’article 49 est une véritable épée de Damocles dressée au dessus de la liberté d’expression. La notion d’ordre public n’est pas définie et le texte punit même si le trouble à l’ordre public est hypothétique. L’amendement de 1993 a aggravé certaines sanctions : l’article 52 qui concerne la diffamation des membres du gouvernement, des députés et autres fonctionnaires publics ne permet plus au juge de prononcer une peine inférieure au minimum prévu à l’art. 51, soit un mois de prison et 120 D d’amende. En février 2000 les lycéens qui ont manifesté à Gabes, Sfax et médenine ont été jugés en vertu de cet article.

La censure par le Dépôt légal

Initialement prévu comme une procédure destinée à la conservation du patrimoine culturel national, le Dépôt légal a été détourné par l’administration qui en a fait un outil de censure préalable. On ne délivre le récépissé de dépôt qu’après lecture et approbation de la publication. Sinon, pas de diffusion, puisqu’il n’y a pas la preuve que le dépôt a été effectué. Cette pratique touche non seulement les journaux et les livres mais également les bulletins internes des associations autonomes. C’est ainsi que l’ATJA (l’Association des Jeunes Avocats) s’est vue confisquer au mois de juillet 99 le numéro 2 de Aklam, son bulletin intérieur. Il en est de même pour le bulletin de l’INEPS (Institut National d’Education physique et sportive) qui a été saisi à l’imprimerie en 1997. L’article 14 responsabilise l’imprimeur au lieu et place de l’éditeur et sur un simple coup de fil du ministère de l’intérieur, la publication est confisquée à l’imprimerie sans que l’éditeur puisse avoir aucun recours.

Diffusion des titres étrangers

Les titres étrangers sont soumis également à la formalité du dépôt légal avant leur mise sur le marché. La loi ne prévoit pas les cas ou motifs pouvant justifier l’interdiction de diffuser un titre étranger. Conséquence: le ministre de l’Intérieur se voit reconnaître un pouvoir entièrement discrétionnaire et n’est nullement obligé de motiver son refus. Depuis 1989, les journaux algériens et marocains sont interdits de diffusion en Tunisie depuis que les journalistes de ces pays ont conquis une liberté de ton qui fait craindre une éventuelle contagion.

Durant la dernière campagne électorale en octobre 1997, plusieurs titres européens, critiques vis-à-vis du pouvoir, ont été interdits d’accès au territoire tunisien. Ainsi El Qods, El Hayet, El Païs, Le Monde, Le Monde diplomatique, Croissance, Le Courrier International, La vie, Télérama, Le Nouvel observateur, l’Express, Libération, Le Figaro, Le Canard enchaîné, La Croix, l’Humanité, The Financial Times, The Independent, Herald Tribune, Frankfurter Allegemeine Zeitung ont été censurés en Tunisie, certains titres le sont encore aujourd’hui à la publication de ce rapport. La chaîne hertzienne France2 a été quant à elle suspendue de diffusion à partir du 25 octobre.

La loi sur les Taxiphones

Le décret du 9 octobre 1996 sur l’exploitation des services de télécommunication prévoit une responsabilité pénale liée au contenu du courrier télécopie (fax). Ainsi, le propriétaire d’une cabine de "Taxiphones" avec service de télécopie est assimilé à un "directeur de publication" au sens du code de la presse. A ce titre, il "assume la responsabilité du contenu du service fourni aux utilisateurs conformément aux dispositions du code de la presse ..." et les directeurs "s’engagent à assurer une surveillance constante du contenu du service pour ne pas laisser perdurer des informations contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs" et "doivent conserver sous leur responsabilité les messages et tout autre document nécessaire à l’administration de la preuve..." Nous sommes loin des dispositions constitutionnelles sur le secret de la correspondance !

Le nouveau code de la Poste

En juin 98 un nouveau code de la Poste (loi 38 du 2 juin 1998) est entré en vigueur avec la plus grande discrétion. En violation flagrante de l’article 9 de la Constitution qui garantit le secret de la correspondance, ce nouveau Code (art 20 et 21) autorise l’administration à ouvrir et confisquer tout courrier portant " atteinte à l’ordre public et à la sécurité nationale " sans aucun recours pour le citoyen.

A titre d’exemple, depuis la parution du livre " Notre ami Ben Ali " les facteurs sont sur le qui-vive. Tout objet qui s’apparente à un livre (boites de chocolat, paquet de médicaments, etc.) est systématiquement ouvert. Toute personne qui a reçu, au mois d’octobre et de novembre, un livre par voie postale, constate que l’enveloppe est déchirée.

La loi sur la parabole

L’art. 6 de cette loi prévoit que les antennes paraboliques destinées à recevoir des programmes de télévision ne sont pas soumises à l’autorisation. Or cet article 5 pose un problème depuis qu’il a été amendé en 1995 puisqu’il soumet l’utilisation de ces mêmes antennes à l’obtention d’une autorisation administrative délivrée par le ministre chargé des communications, après avis du président de la collectivité locale concernée. Résultat: on est en présence de deux articles incompatibles; il aurait fallu amender également l’art.5 pour assurer la cohésion du régime juridique appliqué aux antennes paraboliques et qui est, depuis 1995, un régime de l’autorisation préalable.

Internet

Deux Fournisseurs d’accès, Planet et Globalnet (dirigés par des proches du Palais) sont autorisés à distribuer un abonnement Internet aux particuliers. Une surveillance étroite est exercée sur les sites visités et ceux qui " troublent l’ordre public "  sont soigneusement verrouillés (cf contrats d’abonnements). Même le courrier électronique est sous étroite surveillance et plusieurs abonnés, dont des hommes d’affaires, se sont plaints d’e-mail qui n’arrivent jamais. Le nouveau code de la Poste prévoit également la confiscation du courrier électronique. Les forums de discussions qui permettent aux internautes de discuter entre eux sont vite repérés et ne sont plus hébergés par les fournisseurs d’accès. Ils se sont dotés de programmes, de logiciels et de machines qui décryptent en permanence le contenu des documents en interdisant l’accès dès qu’un mot-clé apparaît. Il est arrivé que des internautes reçoivent la visite à leur domicile de policiers qui les interrogent sur les raisons de leurs connexion à telle ou telle adresse .

La majorité des sites des ONG internationales s’occupant des droits de l’homme sont verrouillés, le site du mouvement ATTAC international a été interrompu pendant une quinzaine de jours, celui du Comité ATTAC-Rhône l’est en permanence depuis qu’il organise une campagne de soutien au RAID. C’est le cas également de nombreux journaux européens (Le Monde, Libération, Le Canard enchaîné, La Croix, Tribune de Genève, Le Temps suisse ...), d’agences de presse (AFP, Reuter; AP, Syfia, Info-Sud). Le site du CNLT ainsi que son e-mail sont verrouillés. Cette chasse au mot virtuel, pour être efficace a eu besoin en octobre 1999 d’un renfort de 400 agents qui contrôlent le courrier électronique des abonnés ainsi que les sites qu’ils visitent. De jeunes pirates ont été longuement interrogés au ministère de l’Intérieur pour des " visites inopportunes ".

Censure et autocensure

En principe le régime juridique de la presse en Tunisie est un régime libéral et " la censure n’existe pas " ! Le secrétariat d’Etat à l’Information a été supprimé depuis 1997 (en fait, Il a été remplacé par une direction générale de l’information dépendant du Premier ministère). En novembre 1999, il vient d’être recréé sous le libellé de " ministère des droits de l’homme, de la communication et des relations avec le parlement " ; mais tout le monde sait que le véritable décideur en la matière, c’est la cellule dirigée par Abdelwahab Abdallah à la Présidence de la République, dont dépend l’ATCE (Agence Tunisienne de Communication Extérieure), la très puissante agence officielle qui gère toute la publicité institutionnelle.

L’intériorisation de la censure finit par lui donner un caractère d’automatisme. Celui qui la vit pense qu’il vaut mieux une petite parcelle de liberté que pas du tout, le plus important est de sauver les meubles ! ".  Ce faisant, il donne une légitimité à la censure. Ainsi, le régime de la liberté surveillée aboutit nécessairement à l’absence de liberté. Une normalisation s’établit par le jeu de récompenses : facilités financières, largesses publicitaires dispensées par le grossiste des annonces (ATCE), accès privilégié aux sources...

Ce dispositif en alerte constante a abouti à la domestication de tous les supports médiatiques, éliminant par strangulation les récalcitrants. C’est ainsi que Le Phare, Erraï se sont éclipsés déjà en 1988; tandis que Le Maghreb subissait un redressement fiscal en 1991 et son directeur, le journaliste Omar Shabou était condamné à 14 mois de prison ferme.... Au début de l’année 2000, le magazine 7/7 dirigé par la journaliste Souheyr Belhassen, cesse de paraître. Cause: asphyxie publicitaire.

La liberté du journaliste

Cette domestication n’élimine pas seulement les institutions de presse indépendantes, mais également les professionnels attachés à leur liberté et à leur déontologie. S’agissant de l’information provenant des Ministères et de l’administration publique, l’accès aux sources n’est pas un droit du journaliste, c’est un privilège réservé aux journalistes des organes conformistes. Tout journaliste, résident tunisien ou correspondant accrédité, connaît cette loi d’airain et ceux qui osent s’en affranchir savent qu’ils encourent automatiquement le retrait de leur accréditation. Taoufik Ben Brik est l’unique exemple de journaliste qui s’obstine à ne pas obéir à la loi de la censure (il ne peut écrire que sur des supports étrangers) et ne pratique par conséquent pas l’exercice périlleux de l’autocensure. Il sait aussi ce que cela coûte ! Pour avoir ignoré la loi du censeur et outrepassé les lignes rouges, il a été la cible d’un tir nourri tous azimuts de la part des autorités (cf partie sur la police).

Cette loi s’applique également aux envoyés spéciaux. Fin novembre 1998, l’équipe de France3, venue en reportage à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, s’est vue interdire de récupérer son matériel à l’aéroport malgré le fait que l’ATCE avait été prévenue de son arrivée ; l’équipe de Jean-Yves Serrand sera obligée d’acheter du matériel amateur sur place pour effectuer son reportage. Une quinzaine auparavant, Jean Pierre Tuquoi, journaliste du Monde a la " maladresse " d’aller fouiner à Djerissa, un village minier du Nord-ouest. Il est déclaré persona non grata et n’est plus autorisé depuis à fouler le territoire. Le 23 janvier 2000, Le journaliste Daniel Mermet, journaliste à France Inter, et son équipe a été interpellé à l’aéroport de Tunis-Carthage, au terme d’un reportage d’une semaine. Tous ses enregistrements, ses carnets de notes et son carnet d’adresses ont été confisqués. Motif officiel : il a omis de demander l’agrément de l’ATCE, alors qu’aucune loi ne l’impose.

Mais la censure ne touche pas seulement les journalistes. En février 2000, l’universitaire Jean-François Poirier est expulsé manu militari pour le simple fait d’avoir accompagné deux journalistes dans le Golfe de Gabès secoué par des émeutes populaires.

Cette obligation de silence vise également les artistes : Mohamed Garfi, compositeur de renom, est interdit d’antenne et de spectacle depuis 1995 pour son franc parler. L’été 99, il a été condamné à une amende de 50 DT pour avoir publié des chroniques culturelles dans le quotidien Essabah où il critiquait la politique culturelle et le gaspillage des fonds publics.

Aujourd’hui, la presse tunisienne est totalement disqualifiée. La population cherche à s’informer dans la presse étrangère. Les photocopies des coupures des journaux étrangers censurés circulent sous le manteau et le recours aux chaînes satellitaires étrangères est devenu un véritable phénomène de société.

La liberté syndicale confisquée

Parler de l’Union Générale des travailleurs Tunisiens (l'UGTT), c'est parler d'un domaine particulier de l'action sociale où se reproduisent les grands mécanismes d’un système politique basé sur la répression.

Le Congrès de Sousse (avril 1989) a permis la mise en place d’une direction syndicale allégeante qui s’est appliquée à jouer le rôle qui lui était dévolu : donner à l'appareil syndical l'efficacité nécessaire dans la lutte contre tout ce qui pourrait mettre en danger sa pérennité propre et celle du pouvoir politique auquel elle était désormais attachée par des liens aussi concrets et matériels que le sont les dizaines de millions de dinars qui lui sont versés mensuellement.

Cette politique a permis à la direction syndicale de se débarrasser de ses adversaires de tous bords et de contrecarrer tout discours revendicatif. Ce contexte a été exploité par le patronat pour renforcer les restrictions aux libertés syndicales (les réunions syndicales sont de moins en moins tolérées au sein des entreprises) et remettre en cause les acquis sociaux, notamment la sécurité de l’emploi. Désormais, grâce à l’introduction de la flexibilité de l’emploi dans le code du travail, les licenciement ont été facilités. Ainsi les licenciements collectifs, suite aux privatisations des entreprises, se négocient désormais entre le gouvernement, l’UTICA (l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat) et l'UGTT.

C’est ainsi que la restructuration de la société Ellouhoum (dans le cadre du PAS) a entraîné une véritable hémorragie organisée avec la complicité de la direction de l’UGTT. La société a vu son personnel passer de 1400 à 100 employés entre 1991 et 1997, malgré 30 arrêts de travail, 12 grèves légales et la démission de Néjib Zoghlami, le SG du syndicat de base en signe de protestation.

On a pu voir récemment le tiers des employés d'une société d'assurances, la Lloyd, être licenciés avec l'accord de la Fédération nationale des Banques de l’UGTT. Désespérés par l'attitude apparemment complaisante de cette dernière, les employés, qui ont vainement tenté d'être reçu par le secrétaire général de la Fédération, ont fini par s’adresser au "Comité de coordination" du RCD. Par ailleurs, les cahiers de charge signés avec l'acquéreur privé sur le chapitre maintien des emplois existant ne sont souvent qu'une clause de pure forme, comme en témoigne l’exemple de la société NAVITOUR.. Trois mois à peine après sa privatisation, le nouveau patron (D'Alessandro) a placé une équipe de la Sogegat (une société privée de gardiennage) devant l'entrée de la société pour empêcher l'entrée des employés qui revendiquaient leurs droits de maintien dans leurs postes.

Le Bureau Exécutif de l'UGTT va s'employer à consolider son pouvoir par une série de mesures. C’est ainsi qu’il maintiendra une disposition réglementaire, contraire aux conventions internationales rendant obligatoire l'accord préalable du BE pour qu'une grève décidée par un syndicat de base soit "légale". Il est à noter que le préavis de 10 jours, comme condition de légalité d'une grève va dans le même sens.

Par ailleurs, l'octroi du détachement à un responsable syndical pour lui permettre de se consacrer à l'action syndicale dépend de son allégeance à la direction syndicale. Cette situation a conduit à écarter de leurs responsabilités des syndicalistes qui refusaient de se soumettre à l’actuel secrétaire général. Des dirigeants nationaux, tels A. Maddahi, A. Rmila, A. Sahraoui, ont été écartés du BE par la Commission Administrative de la Centrale. Au lendemain du Congrès de Sousse (avril 1989), une épuration a été engagée au niveau des syndicats de base dans tout le pays. Le Congrès de 1993 va permettre au terme de diverses manipulations d'empêcher l'élection au Bureau Exécutif de Ali Romdhane, Tahar Chaieb et Kamel Saad. En janvier 1997, Abdelmajid Sahraoui et Ahmed Bermila, membres du BE, Mohsen Zouaoui, secrétaire général de l'union régionale de Jendouba, et Hamed Ben Njima, membre de l'UR de Sousse, furent interpellés par la police suite à un communiqué dénonçant leur révocation illégale.

En avril 1997, une pétition réclamant la convocation du Conseil national de l'UGTT conformément aux statuts, va entraîner, suite aux plaintes déposées par la direction syndicale auprès des autorités, l'arrestation et la détention pendant cinq semaines de : Ahmed Bermila, membre du BE ; Jilani Hammami, secrétaire général de la Fédération nationale des Postes ; Rachid Najar, ancien membre de la Fédération de l'Agriculture; Mongi Souab, membre de la Fédération de l'Equipement ; de même que l'émission d'un mandat de recherche contre Abdelmajid Saharaoui, membre du BE.

Cette chasse aux "contestataires" est allée jusqu'au licenciement d'employés travaillant dans les entreprises appartenant à l'UGTT tels que la compagnie d’assurances "El Ittihad" ou l'hôtel Amilcar.

A l'occasion de la préparation et du déroulement du Congrès de l'UGTT (avril 1999), un ensemble de pratiques non démocratiques ont été constatées comme celle qui autorise le secrétaire général sortant à présider lui-même les travaux du Congrès et à être élu non par le nouveau BE mais directement par les congressistes. Cette situation a soulevé une vague de contestation dans les rangs des syndicalistes qui ont notamment annoncé leur intention de déposer un recours judiciaire pour l’annulation du Congrès. Fait sans précédent, leurs avocats, en dépit du strict respect de la procédure, ont été confrontés à trois reprises (mai 99, novembre 99 et février 2000) au refus catégorique du greffe du Tribunal de première instance de Tunis d'enregistrer leur plainte.

Plus grave, dans la nuit du 10 mai 1999, dans différentes régions du pays, les initiateurs de la contestation, pour la plupart des responsables syndicaux écartés, sont interpellés et retenus dans les locaux de la police pendant 48h. où ils furent soumis à des interrogatoires poussés. Ali Romdhane, Habib Ben Achour, Abdelmajid Sahraoui, Abdennour Maddahi, Halim Chaabane, Hamed Bennjima, Abdeljalil Bedoui, Noureddine Ounissa, Hechmi Lakhal, Chaker Ben Hassine; Plus tard, Mohamed Tahar Chaieb sera interpellé à sa descente d'avion et subira le même sort. Il a fallu l’intevention de la CISL,   " au nom de ses 124 millions d’adhérents " pour qu’ils soient relâchés.

Concernant l’enseignement supérieur, par deux fois, le BE fait annuler la grève décidée par le syndicat des universitaires. Face au mécontentement des enseignants, le BE a fini par se résoudre à autoriser la grève. Cependant le BE, soutenu par le secrétaire général du syndicat de l’enseignement supérieur, a court-circuité les décisions du Conseil des cadres et signé un accord avec le ministère de tutelle. En janvier 2000 une pétition, exigeant l'annulation des accords, la révocation du secrétaire général du syndicat de l'enseignement supérieur et la convocation d’un congrès de leur syndicat qui ne s’est pas réuni depuis 9 ans, a été signée par plus de mille universitaires.

L’Université embrigadée

L’Université tunisienne vit toujours à l’heure de la circulaire du 12 mars 1991 de triste mémoire qui a embrigadé l’université soumettant toute activité culturelle, syndicale ou politique à une autorisation préalable de l’administration, donnant un brutal coup d’arrêt à la tradition de liberté de parole et d’association conquise de haute lutte par un mouvement étudiant traditionnellement frondeur. Ainsi, les affichages ont été quasiment interdits (sauf visa de l’administration) de même toute manifestation culturelle non officielle (chant, poésie ...). Au même moment, les activités des groupes affilés au RCD bénéficient d’une liberté d’action totale et de grands moyens financiers.

L’Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE, proche " d’Ennahdha ") a été dissoute en février 1991 et ses dirigeants emprisonnés. Tandis que l’activité de l’Union Générale des Etudiants Tunisiens (l’UGET, gauche) a été sérieusement handicapée.

Un nouveau corps de police a été créé, " la police universitaire ", avec un uniforme spécifique qui a installé ses locaux au sein même de l’enceinte universitaire. A part " la police universitaire " qui circule librement dans l’enceinte des facultés, tous les corps de la police secrète ont leurs antennes. Cette police se charge de contrôler l’identité des étudiants à l’accès des facultés et de surveiller tout attroupement susceptible de se muer en assemblée générale ou d’action revendicative. Elle contrôle également les allées et venues des professeurs et vont jusqu’à pénétrer dans les classes et s’infiltrer dans la salle de vote du conseil scientifique.

Durant l’année universitaire 1998, les étudiants se sont mobilisés contre le concours du CAPES (certificat d’aptitude à la profession d’enseignement du secondaire) qui multiplie les barrages à l’emploi des diplômés. La répression, particulièrement brutale, s’est soldée par la condamnation, les 23 et 24 décembre 98 de 7 étudiants de la faculté de droit à des peines de prison ferme : Abdennasser Laouini (2 ans), Yacine Hamzaoui (22 mois), Abdelmalek Sahmim (1 an), Imen El Euch (1 an), Wissem Saïdi (2 ans), Fatoum Bachar (10 mois), Farid Barhoumi (10 mois). Au terme d’un large mouvement de solidarité, les étudiants ont été libérés conditionnellement le 7 janvier.. Depuis le 18 février 1999, une vaste campagne de répression a visé les animateurs du mouvement étudiant. Dans ce cadre, Abdennasser Laouini a purgé 6 mois de prison tandis qu’un groupe de 13 étudiants de gauche seront arrêtés et jugés dans l’affaire du PCOT (cf. chapitre sur les procès).

Au moment même où les sensibilités politiques d’opposition étaient interdites d’expression à l’Université, les représentants du RCD bénéficiaient d’une totale liberté d’action. C’est ainsi qu’à Kairouan, durant l’année universitaire 99/2000, à l’occasion des élections des Conseils scientifiques, des agressions caractérisées ont été commises. Le 26 novembre, des militants du RCD ont organisé un cordon empêchant l’entrée à la faculté des étudiants de l’UGET brutalisant trois étudiants (Abdelwahab Radaoui, Abdelaziz Gamoudi, Jamel Tlili). Le 13 décembre, l’étudiant Abdesatar Mnissi a été sauvagement agressé par Samir Haddad, Jamil Hjiri, et Noureddine Mbarki, du RCD. Le soir même, le commando du RCD s’attaque au foyer universitaire d’El Mansoura, muni d’armes blanches et de chaînes, blessant de nombreux étudiants au vu et au su des forces de l’ordre. Les plaintes déposées n’ont pas abouti. Cette impunité les a incité à commettre d’autres agressions.

L’interdiction d’accéder à l’intérieur de la faculté est l’une des formes d’ingérence policière dans la vie de la faculté. En effet, la police kidnappe les étudiants contestataires à l’entrée des l’université et ne les relâche qu’au bout de quelques heures dans un lieu éloigné afin de les empêcher d’exercer leurs activités syndicales. Cette forme de répression a été particulièrement employée lors de la mobilisation estudiantine contre le CAPES, ce qui a incité trois étudiants à protester contre cette interdiction illégale en occupant les locaux LTDH en mars 99. En février 2000, les mêmes procédés ont été reconduits, notamment à la faculté de lettres du 9 avril et de la Manouba, pour battre en brèche la mobilisation étudiante. Saisi par les syndicalistes étudiants, le CNLT a constaté cette interdiction arbitraire. Son SG qui était présent sur les lieux a été brutalisé par la police. Suite à cet incident, le doyen, Delala, a été contraint de signifier par écrit l’exclusion ( en vertu de l’art 46 de l’arrêté 1939 de 1989) pour 15 jours de 9 étudiants parmi les animateurs du mouvement_ et leur comparution devant le conseil de discipline..

Le refus d’inscription est l’une des armes utilisées par l’administration pour sanctionner les étudiants suspectés d’être des agitateurs. Tahar Chebbi, étudiant en 3ème année de médecine, après avoir purgé une peine de 35 mois de prison pour délit d’opinion, a été empêché de s’inscrire par une décision écrite et non motivée du recteur Ali Bousnina, en date du 30 septembre 95. En 1997, les étudiants Fahem Boukaddous, Néjib Baccouchi, Samir Taamalah et Najoua Rezki ont eu recours à une grève de la faim dans les locaux de l’UGET du premier au 20 octobre pour obtenir leur droit d’inscription. Incarcéré, aujourd’hui, à la prison civile de Tunis, Fahem Boukaddous, n’a pas pu obtenir comme d’autres détenus le droit de poursuivre ses études en détention. Quant à Hatem Laouini (membre du Bureau fédéral de l’UGET), il a été empêché d’effectuer son inscription durant les deux années universitaires 97/98 et 98/99 sans aucune justification. Ce n’est qu’au terme d’une action de protestation qu’il a mené au sein des locaux du ministère de l’enseignement supérieur, qu’il a pu enfin obtenir une inscription pour l’année 99/2000. Ont été également interdits arbitrairement de poursuivre leurs études : Abdelmajid Ezzar, 4ème année de médecine, Jalel Ayad, 5ème année de médecine, M’rad Besrour (faculté des sciences), Hassen Beldi.

Des étudiants, condamnés antérieurement à des peines de prison pour des délits d’opinion, se sont vus empêcher de se présenter au CAPES parce que la police ne leur fournit pas le bulletin n°3 exigé pour l’inscription à ce concours et pour tout recrutement.

Imaginons la démocratie

Réinvestir l’espace public, reprendre la parole pour imposer :

1/ La garantie des libertés individuelles :

* L’éradication de la torture : la garantie de l’intégrité physique des prévenus et des personnes incarcérées, le respect de la Convention internationale contre la torture (ainsi que la dénonciation des juges qui rejettent son application), l’imprescriptibilité du crime de torture, la présence obligatoire d’un avocat durant les interrogatoires effectuées pendant la garde à vue, l’ouverture des prisons aux associations indépendantes afin de leur permettre d’exercer leur droit de contrôle, la constitution d’une commission nationale d’investigation sur la torture, le prise en charge médicale et le dédommagement des victimes, l’ouverture de poursuites judiciaires à l’encontre de toute personne impliquée dans des actes de tortures.

* La libération de tous les prisonniers politiques et la proclamation d’une amnistie générale avec recouvrement des droits civils et politiques, la réintégration dans leurs emplois de tous ceux qui ont été licenciés pour délit d’opinion, le droit de tout étudiant à poursuivre ses études, le retour des exilés et l’arrêt des poursuites.

* L’abolition de la peine capitale.

* Mettre fin à la politique sécuritaire :

- Réduction substantielle de la présence policière sur les lieux publics.

- Retrait de la police des facultés et des lycées.

- Faire cesser le racket dont sont victimes les citoyens et en particulier les professionnels de la route.

- Mettre un terme aux campagnes de perquisition et aux vérifications injustifiées d’identité.

- Mettre fin à l’interruption arbitraire et aux écoutes des lignes téléphoniques privées et respecter le secret de la correspondance.

Reconversion d’une grande partie du corps de la police.

* La liberté de circuler

Suppression des dispositions de la loi sur les passeports qui portent atteinte à la liberté de liberté de circuler. Octroi d’un passeport à tous les citoyens qui en sont privés abusivement.

2/ Les libertés d’opinion et d’expression supposent :

* La liberté de croyance et du culte.

* La liberté de création artistique et littéraire.

* La levée de toute entrave à la publication et à la diffusion des journaux. La libéralisation de tous les moyens d’information et de communication audiovisuels.

3/ L’indépendance de la Justice suppose :

* L’élection des membres du Conseil de la magistrature, seul habilité à décider de la promotions des juges et de leur mutation avec leur consentement.

* L’instauration du droit syndical pour les juges.

4/ La révision des lois organisant la vie publique et notamment le code de la presse, la loi sur les association, la loi sur les partis, le code électoral, les lois sur les réunions publiques et les manifestations, le code de la poste, le code de la route.

* Reconnaissance sans exception de tous les partis, organisations et associations civiles qui agissent pacifiquement et dans le respect des règles démocratiques, conformément aux pactes internationaux.

* Garantie de la neutralité de l’administration notamment en ce qui concerne l’égalité de tous devant l’emploi et la gestion transparente des aides et des financements publics.

* Abrogation de toutes les lois discriminatoires envers les femmes. Engager un débat sur la question de l’égalité dans l’héritage. Assurer la protection des femmes contre toute forme de violence.

5/ Institution d’une Cour constitutionnelle pour statuer sur la conformité des lois avec la loi fondamentale et disposant de l’auto-saisine.

Le CNLT lance un appel pour la tenue d’une Conférence nationale démocratique afin de débattre des réformes fondamentales à engager pour préparer les alternatives nécessaires et poser les jalons d’une nouvelle constitution qui fonde un Etat démocratique.

 

 

Annexes

Texte de la plainte déposée le 9 août 1991 " par les héritiers d’Abderraouf B. Khémaïs B. Sadok Laribi contre Monsieur Abdallah Kallel, Ministre de l’Intérieur et toutes personnes que l’enquête révélera ".

Plainte pour homicide volontaire

Monsieur le Procureur de la République auprès du Tribunal de Première Instance.

Nous vous saisissons des faits suivants :

Attendu que le défunt Abderraouf B. Khémaïs B. Sadok Laribi né au Bardo le 08/02/1958, professeur d’enseignement secondaire de son état, a été arrêté par des agents de la police le 3 mai 1991 à midi environ alors qu’il quittait le lycée où il enseignait (lycée privé El Ghazeli dans le quartier de Halfaouine). Le même jour, à 16 heures environ 3 agents de police en civil du service de la Sûreté de l’Etat sont venus pour opérer une perquisition au domicile du défunt à la rue de Tunis numéro 15 Bardo.

L’un d’entre eux a déclaré à la femme du défunt au cours de la perquisition " Nous avons arrêté Abderraouf dans le but d’obtenir un engagement de sa part ".

Attendu qu’après cette constatation, la famille du défunt a contacté les autorités de la police concernée, mais sans obtenir de réponse convainquante sauf qu’aucune information ne peut être donnée concernant les " croyants ". Dans cette situation et après les 4 jours de garde-à-vue, la femme du défunt a présenté une plainte avec une demande d’examen médical, demande enregistrée au Bureau d’ordre sous le numéro 54204/5 en date du 8 mai 1991. A la même date, cette plainte a été transmise au directeur de la Sûreté du district de Tunis pour faire ce qui est nécessaire à ce sujet; la plainte n’a connu aucune suite à ce jour.

Attendu qu’à la date du 27 mai 1991, à 17h environ 2 agents en civil se sont présentés au domicile du père du défunt, qu’ils l’ont emmené avec eux au district de Bouchoucha, où le chef de circonscription l’a informé de la mort de son fils dans les locaux de la police du Ministère de l’Intérieur. Il l’a également informé que les funérailles sont prévues pour la matinée du 28 mai 1991 à 7 heures et demi du matin au cimetière du Djellaz.

Certains membres de la famille ont tenté de contacter les autorités de police par le biais d’un avocat, afin que les obsèques soient reportés, mais en vain. Ils ont par conséquent été obligé de se rendre le 28/05/91 au cimetière à une heure matinale.

Vers 7h45 une ambulance militaire amenait le cercueil contenant le corps du défunt ainsi que 4 grosses voitures de police ayant à bord plusieurs agents de la Brigade d’Ordre Public et un nombre de voitures banalisées avec des agents en civil et une voiture Alfa-Roméo où se trouvait le Chef de Brigade de Bouchoucha. Celui-ci qui avait informé le père du décès de son fils.

Lors de la mise en terre de la dépouille du défunt, enveloppée dans une couverture militaire, son corps a été observé par ses parents ainsi que certaines personnes présentes dont Maître Abdelfatah Mourou a pu déceler sur son visage, son cou, ses épaules, et son torse des hématomes et des traces de violences. On a pu également voir des traces de violence et des plaies aux jambes. Le col de Maître Mourou a été tâché du sang provenant du cou du mort. Certains présents pensent que le défunt aurait eu une hémorragie interne, résultat de la violence subie par le défunt pendant l’interrogatoire.

Attendu que les plaignants n’ont réussi à obtenir aucun document parmi les effets personnels du défunt, ni des vêtements, ni sa montre, ni sa serviette qu’il avait avec lui au moment de son arrestation. De même, ses proches n’ont pas réussi à obtenir des autorités aucunes pièces permettant d’accomplir les formalités en vue de l’obtention de l’acte de décès. De même au matin du 29 mai 1991 au moment où les parents du défunt se sont rendus au cimetière, ils ont trouvé 2 agents en civil et 3 agents en uniforme gardant la tombe du défunt qui venait d’être bâtie par la police. L’un des héritiers s’est adressé à eux pour demander que les documents nécessaires certifiant l’inhumation lui soient fournis. Il l’a renvoyé à l’hôpital Charles Nicolle pour obtenir un certificat médical et se faire délivrer une copie de son acte de décès. A l’hôpital il découvrit que le défunt a été enregistré.

Ils se sont adressé au Procureur de la République par le biais de Maître Mourou, Behiri et Zemsémi pour obtenir une copie du permis d’inhumer. Il s’avère que l’inhumation a eu lieu sans permis d’inhumer.

Nous demandons qu’une enquête soit ouverte à ce sujet et de déférer devant la justice la personne objet de cette plainte et toute personne que révélera l’enquête, afin qu’ils soient jugés pour homicide avec préméditation, en vertu de l’article 204 du Code Pénal.

 

 

 

2- Témoignage de Lotfi Hammami

Cette douleur, je crois la sentir encore aujourd’hui 

" Dans la nuit du 22 au 23 février 1998, après 48 heures de torture, j’ai été jeté dans une petite pièce avec une table et une chaise pour tout mobilier. Assis sur une chaise, la main gauche attachée à la table par des menottes, un homme, assis devant moi me surveillait : chaque fois que mes yeux se refermaient il me giflait. Je grelottait de tout mon corps, lorsque 5 personnes firent irruption dans la pièce. J’en reconnus deux qui m’avaient torturé dans ces mêmes lieux pendant 11 jours au courant du mois d’août 1996. L’un d’eux m’apostropha en ces termes" : Fils de pute ! est-ce que tu vas enfin parler ? " Il me saisit par les cheveux et me tira vers l’arrière si violemment que la table s’est renversée. Je me retrouvais à terre avec la chaise. Mon poignet se foula et mon bras est resté enflé pendant longtemps.

On me transféra dans un autre bureau où on m’ordonna de m’agenouiller ; je refusais de le faire. L’un d’eux s’avança alors vers moi pendant que j’étais adossé au mur et par un croque en jambes, me mit à terre. Il m’attrapa encore une fois par les cheveux et me traîna jusqu’au milieu du bureau. On m’arracha alors tous mes vêtements. Je tentais de résister mais ils m’attachèrent les mains derrière le dos avec des menottes. Ils m’assirent sur une chaise qu’ils renversèrent par derrière, de sorte que je me retrouvais le dos par terre et les jambes pendant par-dessus la chaise. L’un d’entre eux saisit alors un gros bâton qu’il appelait " messaouda " et me soumit à la " falaqa ". Malgré le froid, mon corps était en sueur. Comme je hurlais de douleur on m’enfonça ma manche de chemise dans la bouche. Mes jambes s’enflèrent et des hématomes apparents à plusieurs endroits de mon corps.

On me releva m’obligeant à aller et venir dans la pièce puis on m’allongea entièrement nu, à même le sol. Je sentais ma fin approcher. Je ne pouvais plus contrôler mes mouvements… Celui-là même qui en 1996, me torturait était chargé ce jour-là de m’interroger. Et, comme il était enrhumé, il me crachait de temps à autre sur la figure. Je sentais alors se dégager de ses crachats une odeur putride et des relents de pourriture. De temps en temps, il m’essuyait le visage avec mon pantalon, jeté sur le sol. Il évitait de me frapper n’importe comment, afin de ne pas laisser de traces. Par la suite, on m’assit sur la chaise, les mains toujours attachée derrière le dos. Je les voyais parfois entrer dans une colère noire ou rigoler tout en fixant mon corps nu. Puis, l’homme trapu, au ventre légèrement bedonnant s’avança vers moi, un tuyau en plastique rouge plié en deux à la main et se mit à me cogner sur la tête. Puis, il me saisit brutalement par les cheveux et se mit à tourner autour de moi tout en m’assénant des coups sur le crâne à la manière dite de la " darbouka " jusqu’à ce que le sang se mît à gicler de mon nez. Pendant qu’il le faisait, les autres me maintenaient de tous les côtés pour m’empêcher de bouger. Je finis par m’évanouir pendant près d’un quart d’heure. Lorsque je repris connaissance, je m’aperçus qu’on m’avait remis seulement mon pantalon et injecté un produit suspect. On me ramena dans ma cellule, grelottant de froid et les pieds nus et on m’y laissa jusqu’au matin. Le 23 février à 8 heures, le gardien de nuit me remit à l’agent qui m’avait torturé pendant la nuit précédente et qui semblait saoul. Depuis ce matin, je fus transféré dans la pièce appelée " balanco " où je fus suspendu plusieurs fois. Il se plaisait à me répéter, " même si tu crèves tu mourras comme un chien dans un tas d’ordure, car vois-tu personne ne sait encore que tu te trouves chez nous ". Or, j’étais loin d’imaginer à ce moment-là que je pouvais vivre jusqu’à ce jour ; j’ai frôlé la mort plusieurs fois. Le sixième jour, alors que j’étais suspendu au " balanco ", entièrement nu, l’un d’eux se tint debout près de moi – mais je ne pouvais pas alors distinguer clairement son visage – et se mit à balader sa main sur mes fesses en émettant des sons. J’avais la sensation d’être pendu par le cou ; je tentais de bouger mais je ne réussissais pas. Par la suite, on me remit par terre et on se mit à faire bouger mes mains et mes pieds, pendant que j’étais évanoui. Après une heure, ils ligotèrent mes mains avec un torchon et me suspendirent tandis que l’un d’eux me garrottait le sexe avec un fil dont je ne pouvais identifier la nature mais qui était tranchant, puis l’attacha à la table ; se qui amena mon corps à se courber vers l’avant sans que je sois capable du moindre mouvement. La deuxième fois, le fil qui me garrottait toujours le sexe a été attaché à la porte, lorsqu’on la refermait, mon sexe était étiré et la douleur s’accentuait. L’opération de suspension durait chaque fois un quart d’heure mais ses effets se faisaient sentir pendant plusieurs heures. Cette douleur, je crois la sentir encore aujourd’hui ".

 

 

Naceur, tu ne travaillera pas !

Naceur Fatnassi, technicien supérieur de la santé, n’a pu réintégrer son emploi à l’hôpital à la suite d’une condamnation à quelques mois de prison, pour " connivence " avec le mouvement " Ennahdha ", qu’il a purgée au début des années 90. Il n’a pu, par la suite, conserver longtemps un emploi dans une clinique privée de la capitale à cause des pressions policières. Ses diverses tentatives en direction d’autres cliniques firent, de même, long feu. Il fut, ainsi, contraint de renoncer à exercer son métier et ouvrit un commerce ambulant de laitages, mais le harcèlement policier reprit de plus belle : descentes à son domicile, de jour comme de nuit, pressions pour dissuader les clients de s’approvisionner chez lui, renversement à terre de son étal par les policiers, insultes, propos humiliants, diverses affaires intentées contre lui auprès du Tribunal cantonal de la Manouba dont une condamnation à 15 jours de prison ferme pour " vacarme sur la voie publique " (jugement du 27/11/97, affaire N°13944), agression physique le 24 mai 1997 de son fils de douze ans (à l’époque des faits) par des policiers_… Ce harcèlement se poursuit encore aujourd’hui avec l’affaire intentée à son épouse, mère de sept enfants, qui a été condamnée par le même Tribunal cantonal de la Manouba le 16/09/99 à deux mois de prison ferme pour  " violences envers agents de l’ordre "  !

 

 

Ali ne passera pas le bac !

Ali El Metoui a été arrêté, à l’âge de 16 ans, le 2 janvier 1991, lors de la vague de manifestations populaires et lycéennes de protestation contre la guerre du golfe. Après avoir été sauvagement torturé à la caserne de Boucoucha de sinistre réputation, il comparut devant le tribunal des mineurs qui le condamna à seize mois de prison pour  " possession et fabrication d’explosifs " et " participation à un rassemblement armé ". Son père, Abdelkarim, membre du mouvement " Ennahdha ", condamné pour de longues années, le suivi de peu en prison. Sa mère fut, par la suite, constamment interpellée, parfois en compagnie de sa fille de neuf ans, et soumise par la police politique à des interrogatoires harassants à propos de ses sources de subsistance.

Ayant purgé sa peine, Ali n’arriva pas, pour autant, au bout de ses peines : il fut astreint durant plus d’une année à se présenter toutes les deux heures au poste de police ; cette mesure illégale s’allégea, par la suite, mais resta une contrainte quotidienne jusqu’au 7 novembre 1999. Durant toutes ces années, à toute heure du jour et surtout de la nuit, la police politique opérait de fréquentes descentes au domicile familial, menées le plus souvent par " Rambo ", tortionnaire notoire sévissant à Bouchoucha, où Ali fut l’une de ses nombreuses victimes.

Cela n’empêcha pas Ali de reprendre ses études, au lycée privé de la rue de l’Inde, et de se présenter à la session de juin 1996 du baccalauréat. En pleine épreuve de mathématiques, des policiers firent irruption dans la salle et lui demandent de les suivre ; à peine dehors, il s’entendit signifier : "maintenant, tu peux repartir ! ". Bien entendu, il ne put réintégrer la salle d’examen. L’année suivante, quinze jours avant le début du bac, la police surgit sur les lieux de son travail - il devait payer ses études - et lui signifia qu’il devait la tenir informée de tout emploi contracté. Cela va sans dire qu’il dut en faire son deuil. Restait, toutefois, l’examen : Il ne reçut sa convocation que la veille. Lors de l’épreuve de géographie, le scénario de l’année précédente se reproduisit. Cette fois-ci, Ali résiste et refuse de sortir. Mal lui en prit : emmené manu militari au poste d’Essejoumi, il y fut copieusement battu, menacé et insulté, puis soumis à l’éprouvante séance d’ " établissement de la fiche de renseignements ". Le ministère de l’Education intervint, par la suite, mais pour lui signifier une décision le privant d’une session du baccalauréat,  pour " fraude lors de l’épreuve de géographie de la session 1997 ". Exit la session 1998. En 1999, il ne reçu tout simplement pas sa convocation.

Ahmed Lamari est persuadé qu’il n’en sortira qu’infirme

Responsable régional de l’UGTT à Medenine et membre de la LTDH, Ahmed Lamari, père de 6 enfants a été condamné, le 31 août 1992 à 2 ans de prison ferme, par le Tribunal militaire de Tunis, pour appartenance au mouvement " Ennahdha ". Peu de temps après, la Cour d’Appel de Medenine prononce, à son encontre, une autre peine de prison ferme, soit une année, pour tenue de réunion illégale. A sa libération en 1994, il est l’objet de nouvelles poursuites judiciaires. Il comparait en état de liberté devant la Cour d’Appel de Medenine qui, infirmant l’acquittement prononcé en première instance, le condamne, le 28 septembre 1994, à 3 ans de prison ferme, pour " appartenance à une association non reconnue ", 3 mois pour " tenue de réunions illégales " et 3 mois pour " collecte de fonds non autorisée ".

Ahmed Lamari s’enfuit, alors, en Libye où il est arrêté le 12 février 1997 et maintenu plus de 2 mois en isolement dans une cellule de 4 m2 au centre de détention de " Al Hadhba al Khadhra ", à Tripoli, où se trouvaient détenus, à la même période, 35 citoyens arabes (Tunisiens, Algériens, Marocains, Egyptiens, Soudanais...).Au quinzième jour d’une grève de la faim collective de protestation contre les conditions de détention – les prisonniers ne disposaient, quotidiennement, que d’un litre d’eau et d’un pain, pour tous leurs besoins - il a été remis le 17 juin 1997 aux autorités tunisiennes, après avoir été sauvagement torturé. A l’issue d’une détention au secret au ministère de l’Intérieur, durant laquelle il subit de nouveau divers supplices, il a été transféré le 3 juillet 1997 à la prison civile de Tunis. Il est détenu, depuis, au sinistre quartier disciplinaire, le pavillon E. Le 2 juin 1998, la 14ème Chambre de la Cour d’Appel de Tunis le condamne, par défaut, à 4 ans de prison, pour " appartenance à une association de malfaiteurs " sans même avoir été entendu ni par la police ni par la justice. Par la suite, la peine fut réduite de moitié. Une année plus tard, le 6 mai 1999, la Chambre Criminelle de la Cour d’Appel de Sfax le condamne pour les mêmes faits et sous les mêmes chefs d’inculpation, à cinq ans de prison. Privé de journaux, de livres et de télévision, ne disposant que d’une demi-heure de promenade quotidienne, M. Lamari est maintenu, depuis le 10 octobre 1997, en isolement dans une cellule individuelle au pavillon E. Un autre prisonnier est venu le rejoindre, au bout d’une année. Sa détresse est amplifiée, par une souffrance morale permanente, occasionnée par les cris et lamentations des suppliciés émanant d’un local contigu où les détenus sont torturés. Ses requêtes en vue d’améliorer ses conditions sont restées vaines. Les pratiques répressives et les séances de torture auxquelles il a été soumis ces dernières années lui ont laissé de graves séquelles et ont été à l’origine de maladies chroniques. Il est persuadé qu’il n’en sortira qu’infirme.

Sa famille n’a pas été épargnée. Elle a été privée de connexion au réseau électrique et d’adduction d’eau, alors que tous les habitants de la cité où elle réside en bénéficient. Sa fille aînée, étudiante à l’Institut Supérieur de Documentation, est privée de bourse et de crédit sous prétexte qu’elle n’a pas pu fournir une attestation de défaut de revenus du père. Ce qui l’a obligée à travailler dans la cueillette des olives, durant les vacances pour financer ses études.

 

Personnes impliquées dans la torture en Tunisie

Selon les critères définis par l’article 1 de la convention internationale contre la torture

Fonctionnaires de la sûreté nationale

(première liste)

Ezzedine Jenayeh

Hassen Abid

Ali Mansour

Moncef Ben Guebila

Hamadi Hless

Ridha Chabbi

Abdelhafidh Tounsi

Mahmoud Ben Amor

Amor Sellini

Mahmoud Jaouadi

Bechir Saïdi

Zied Gargouri

Abderrahman Gasmi

Mohamed Tahar Oueslati

Jamal Ayari

Abdelfattah El Adib

Abdelkarim Zammali

Mohamed Gabous

Mohamed Moumni

Adel Tlili

Hamouda Farah

Imed Daghar

Rachid Ridha Trabelsi

Mourad Labidi

 

 

Officiers et agents de l’administration pénitentiaire

(2ème liste)_

Ahmed Hajji

Toumi Sghaïer Mezghani

Jedidi Aloui

Nabil Aïdani

Ahmed Riahi

Karim Bel Haj Yahia

Habib Alioua

Ali Ben Aïssa

Slaheddine M’barek

Bechir Najjar

Hedi Zitouni

Mourad Hannachi

Hedi Ayari

Ridha Belhaj

Amor Yahiaoui

Sadok Belhaj

Abdelrahmane Aïdoudi

Salah Rabhi

Ali Chouchane

Hichem El Ouni

Jamel Jerbi

Sami Kallel

 

1 La première liste a été publiée dans le " rapport sur l"état des prisons en Tunisie " le 20 octobre 1999.